Émeutes aux Etats-Unis: Pourquoi Baltimore brûle?
DECRYPTAGE•Le décès d'un jeune noir après son interpellation a embrasé cette ville qui enregistre des taux record de pauvreté, de chômage, de criminalité et de violences policières...Bérénice Dubuc
«Bavure» de policiers blancs sur un homme noir, manifestations, et émeutes: le cycle infernal des violences se poursuit aux Etats-Unis. Après la mort de Michael Brown à Ferguson (Missouri) en août, c'est le décès de Freddie Gray, mort le 19 avril des suites d’une fracture des vertèbres cervicales après son interpellation par la police de Baltimore (Maryland), qui a ravivé la polémique sur la brutalité policière dans le pays.
Un quartier sinistré
Cette fois, c’est un quartier du nord-ouest de Baltimore -ville de 2 millions d’habitants - qui s’est embrasé. Une zone qui cumule les handicaps sociaux, avec un taux de chômage 3 à 4 fois plus élevé que moyenne nationale, plus d'un tiers de ses habitants sous le seuil de pauvreté et seulement 60% des élèves qui finissent le lycée, rappelle le magazine Forbes.
«C’est une ville qui a violemment souffert de la désindustrialisation et qui connaît une criminalité élevée», rappelle Thomas Snegaroff, directeur de recherches à l’Iris*. «Baltimore est une ville dangereuse, qui a une tradition de crime très forte, abonde Nicole Bacharan, historienne, spécialiste des Etats-Unis**. Et ces circonstances révèlent tous les problèmes non résolus de cette ville, comme Katrina l’a été -toutes proportions gardées- des difficultés qui existaient à la Nouvelle-Orléans: une situation de quart-monde dans un pays riche.»
Criminalité élevée
Pourtant, comme l’explique Thomas Snegaroff, «les choses semblaient s’améliorer depuis quelques années»: «alors que la population baissait depuis 60 ans, la ville est en train de se revitaliser et regagne des habitants depuis 1 ou 2 ans, et le taux d’homicides est revenu à celui des années 70»,. La ville du Maryland a en effet suivi, à son rythme, la baisse de la criminalité à l’échelle du pays, même si elle reste toujours élevée.
Un gang de Baltimore, la Black Guerilla Family, a ainsi menacé de tuer des policiers. «Cela rend la situation encore plus problématique et plus tendue: ils ont fêlé l’union sacrée au sein de la communauté, juge François Durpaire, maître de conférences à l'université de Cergy-Pontoise. Ils poursuivent leurs propres objectifs, alors qu’en face, une réalité différente est à l’œuvre: les manifestants, en colère mais pacifistes, alertent les pouvoirs publics depuis longtemps sur cette problématique.»
Une police plus violente qu’ailleurs
Depuis longtemps, la police de Baltimore est en effet réputée plus violente qu’ailleurs. «Entre 1992 et 2012, 127 personnes ont été tuées par la police alors que dans des villes de taille comparable comme Memphis ou Seattle, ce chiffre est divisé par deux», rappelle François Durpaire. «De manière générale, les gens, mais aussi les policiers, sont plus méfiants à Baltimore, alors que la police américaine est déjà en général très militarisée et emploie des méthodes extrêmement dures», note également Nicole Bacharan. Et, comme partout aux Etats-Unis, l’«abondance d’armes à feu et les préjugés raciaux vis-à-vis des hommes noirs attisent encore la peur des policiers», ajoute-t-elle.
Or, ces préjugés sont difficiles à faire tomber. «Même si Barack Obama a demandé la mise en place de caméras embarquées sur les policiers, il n’a pas demandé qu’ils soient formés en matière de préjugés raciaux», souligne François Durpaire, qui estime que l’accumulation de «bavures» de ce type depuis un an et demi menace désormais de se transformer en crise nationale.
«Les gens sont vraiment révoltés. Le pays ne va pas rester assis à regarder ce carnage sans rien faire», confirme Nicole Bacharan. Un avis que partage aussi Thomas Snegaroff: «L’idée que la police américaine est trop violente et agit de façon disproportionnée se propage, y compris dans la population blanche», conclut-il.