HUMANITAIRENaufrages en Méditerranée: Qui sont les passeurs?

Naufrages en Méditerranée: Qui sont les passeurs?

HUMANITAIREIls sont dans le viseur des Etats européens, qui voient en eux la cause principale des drames qui se multiplient...
Nicolas Beunaiche

Nicolas Beunaiche

L'essentiel

  • Les nouveaux passeurs sont le produit d'une situation au Proche-Orient.
  • Il existe plusieurs types de passeurs.
  • L'activité est très rémunératrice et très organisée.

Aux yeux des Européens, ils incarnent le mal. Qualifiés de «terroristes» par François Hollande et d’«esclavagistes» par Matteo Renzi, les passeurs sont indéniablement l’un des maillons essentiels du trafic d’êtres humains qui sévit entre les rives de la Méditerranée. Mais qui sont vraiment ces hommes qui organisent l’émigration de milliers de personnes vers l’Europe chaque année?

Comment éviter de nouvelles catastrophes? Il existe des solutions

Pour le comprendre, il faut remonter aux sources du problème. Si les drames se sont multipliés ces dernières années, jugent les humanitaires et les experts, c’est à la fois en raison de la fermeture des frontières européennes et de la déstabilisation de pays comme la Libye et la Syrie. «Il y a encore cinq ou dix ans, les passeurs étaient des “artisans”, dont le véritable métier était pêcheur ou armateur, explique François Gemenne, politologue au Centre d’études et de recherches internationales (Ceri). Ils se souciaient du sort de leurs passagers. Les événements et les opportunités qu’ils ont créées ont professionnalisé cette activité.»

Des migrants devenus passeurs

De fait, la demande des candidats au départ a joué en faveur de l’offre des passeurs et attisé les convoitises. «Aujourd’hui, une traversée peut se négocier entre 3.000 et 5.000 euros», indique François Gemenne, qui précise que le trafic d’êtres humains est le plus rentable après la drogue et les armes. Dans l’hypothèse où le chalutier qui a chaviré dans la nuit de samedi à dimanche aurait transporté plus 900 migrants, ce sont ainsi «entre un et cinq millions d’euros» qu’auraient empochés les organisateurs de ce «voyage de la mort», selon Joseph Muscat, le Premier ministre de Malte.

Pour autant, «il n’y a pas de profil type de passeur», tranche Smaïn Laacher, professeur de sociologie à l’université de Strasbourg et auteur de plusieurs livres sur l’immigration. «Les passeurs peuvent être à leur compte ou faire partie d’entreprises mafieuses, mais ils peuvent aussi être des passeurs circonstanciels», détaille-t-il. En d’autres termes, des migrants ayant échoué à partir et vendant leur expertise à d’autres candidats au départ. «Il peut même arriver que des migrants soient mis à la barre du bateau, quand ils ont quelques connaissances en navigation, comme c’est arrivé à d’anciens soldats syriens», ajoute Gilbert Potier, directeur des opérations internationales pour Médecins du monde (MDM). Une grande majorité des passeurs seraient malgré tout Libyens, Turcs ou Tunisiens, selon François Gemenne.

Des fonctionnaires complices

Tous ces éléments témoignent en tout cas d’une organisation très poussée. «Il s’agit désormais d’une activité économiquement rationnelle, dans laquelle la gestion et la prévision sont intégrées», indique Smaïn Laacher. Grâce à l’arrestation de 24 passeurs, ce lundi, la justice italienne a ainsi découvert que ces hommes, dirigés par un Ethiopien et un Erythréen décrits comme sans pitié, avaient recours à des systèmes de paiement sophistiqués comme les transferts d'argent via Moneygram ou Western Union. A chaque immigré «client» était attribué un numéro, et chaque paiement était consigné dans un dossier.

De manière générale, le travail de rabattage est également bien rodé. «Les réseaux mafieux contactent eux-mêmes les migrants par Facebook ou misent sur le bouche-à-oreille», explique François Gemenne. Quant aux bateaux, ils se contentent de racheter de «vieux rafiots» à des armateurs, limitant ainsi leurs dépenses. Une fois en mer, il leur suffit de lancer des appels aux secours et d’abandonner le bateau en mer, quand ils ne reviennent pas le chercher plus tard, armes à la main.

Dans leur business, «il n’est pas exclu que certains fonctionnaires jouent aussi un rôle», ajoute Michaël Neuman, directeur d’études du Centre de réflexion de Médecins sans frontières (MSF). En clair, «des policiers, des gendarmes ou des militaires, énumère Smaïn Laacher. Quand il n’y a plus d’Etat, il est forcément beaucoup plus facile de faire prospérer ce type d’activité…»