Ebola: «Il y avait une nette réticence à soigner les patients»
SANTE•En pointe dans la lutte contre l’épidémie qui dure depuis un an, Médecins sans Frontières critique sur la gestion de le crise...Bérénice Dubuc
Dans un rapport intitulé Poussés au-delà de nos limites publié ce lundi, Médecins Sans Frontières (MSF) livre une analyse critique de la réponse apportée depuis un an à l’épidémie de virus Ebola en Afrique de l’Ouest, qui a déjà causé plus de 10.000 décès selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
Dans ce document d’une vingtaine de pages, l’organisation médicale internationale déroule la chronologie de son intervention depuis mars 2014 et fustige organisations internationales et autorités locales, qui ont ignoré ses multiples appels à l'aide, jugés «alarmistes» voire opportunistes. «Nous avons rencontré beaucoup d’obstacles politiques, explique Brice de le Vingne, directeur des opérations de MSF, en charge de la réponse Ebola. C’est compréhensible, personne ne souhaite déclarer que son pays est touché par une épidémie d’Ebola, car cela signifie la fin du tourisme, des investissements, etc.»
Prise de conscience tardive
Entre mars lorsque MSF commence à déployer ses équipes et alerter sur l’épidémie et août 2014, quand l’OMS décrète l’«urgence de santé publique mondiale» et demande une «réponse internationale coordonnée», «plus d'un millier de personnes étaient déjà mortes», déplore le rapport. Cette prise de conscience, certes tardive, a pourtant été salutaire quand le virus a traversé les frontières fin août, vers le Nigeria, le Sénégal ou le Mali, note le rapport. Mais, dans les trois pays les plus touchés, l’aide a mis du temps à arriver, et n’a pas été celle attendue, laissant les quelque 1.300 expatriés et 4.000 employés locaux de MSF gérer la crise.
«Il y avait une nette réticence à soigner les patients. Ils voulaient aider, mais ne rien faire de risqué. Les hélicoptères américains refusaient même de transporter les échantillons de laboratoire ou du personnel en bonne santé qui revenait de traiter les patients», note le Dr Liu. Ainsi, fin août, le centre Elwa 3 de MSF à Monrovia (le plus grand jamais mis en place par l’ONG avec ses 250 lits) n'ouvrait plus que 30 minutes par jour, ne laissant entrer que quelques patients venus remplacer ceux morts pendant la nuit, raconte le rapport.
«Faiblesses»
Le personnel était obligé de renvoyer chez elles des personnes visiblement malades, tout en sachant qu’en rentrant dans leurs communautés, elles seraient de nouveaux vecteurs de la propagation du virus. Une réalité qui amène aussi MSF à faire son autocritique pour une meilleure gestion des épidémies futures. «Nous avons eu nos faiblesses, par exemple en termes de mobilisation interne, souligne Brice de le Vingne. C’est en partie dû aux caractéristiques de cette maladie, extrêmement dangereuse, à laquelle peu de personnes avaient été confrontées. Sur l’ensemble des équipes MSF, 40 personnes seulement avaient déjà travaillé sur Ebola.» Un manque de personnel qualifié qui a poussé l’ONG à former 800 volontaires et 250 d'autres organisations.
Pourtant, malgré une diminution importante du nombre de cas depuis fin 2014, l’épidémie n’est toujours pas sous contrôle. «Un an après, nous sommes malheureusement clairement toujours au milieu de l’urgence, note Brice de le Vingne. Ce week-end, un nouveau cas a été enregistré au Liberia, alors que cela faisait près de trois semaines qu’il n’y en avait plus. En Guinée, un doublement des cas a eu lieu cette semaine, et le nombre de cas en Sierra Leone ne diminue pas non plus. L’échéance du 15 avril pour réaliser "l'infection zéro Ebola" que se sont donnée les trois pays semble inatteignable.»