MONDEMoines de Tibéhirine: Un témoin met en cause l'armée algérienne

Moines de Tibéhirine: Un témoin met en cause l'armée algérienne

MONDEIl se présente comme un ex-agent des services secrets algériens...
20 Minutes avec AFP

20 Minutes avec AFP

Un homme se présentant comme un ex-agent des services secrets algériens, entendu en janvier par le juge français Marc Trevidic, a mis en cause l'armée dans l'assassinat en 1996 des moines cisterciens de Tibéhirine, a-t-on appris de source proche du dossier.

L'enlèvement puis la mort de Christian de Chergé, Luc Dochier, Paul Favre Miville, Michel Fleury, Christophe Lebreton, Bruno Lemarchand et Célestin Ringeard, a donné lieu à plusieurs versions.

La thèse officielle est celle d'un crime commis par le Groupe islamique armé (GIA) de Djamel Zitouni qui contrôlait de nombreux maquis autour du monastère isolé Notre-Dame de l'Atlas, au sud d'Alger, où les moines avaient été kidnappés dans la nuit du 26 au 27 mars 1996. Après avoir revendiqué le rapt, l'organisation avait annoncé le 23 mai la décapitation des captifs. Leurs têtes étaient retrouvées le 30 le long d'une route.

Mais cette version a été contestée lors de l'enquête française ouverte en 2004. L'ancien attaché militaire français à Alger a évoqué en 2009 une «bavure» de l'armée algérienne qui aurait tué les moines lors d'un raid d'hélicoptères sur un bivouac de djihadistes, un dérapage qui aurait été maquillé en crime du GIA.

La pistes d'une manipulation des services secrets algérien

D'anciens militaires ont évoqué une manipulation des services secrets algériens, leur imputant la responsabilité du rapt. Comme mobiles possibles, la volonté de se débarrasser de témoins gênants, de faire pression sur la France ou de discréditer les GIA aux yeux de la communauté internationale.

C'est un nouveau témoignage allant dans ce sens, mais tout aussi difficile à corroborer, qu'a recueilli le 21 janvier le juge Trevidic. Aujourd'hui âgé de 34 ans et vivant en Savoie où il est menacé d'expulsion, Mourad B. a expliqué au magistrat être entré fin 2006-début 2007 dans les services algériens, qui l'ont chargé d'infiltrer les rangs islamistes, sous le nom de code d'Abou Nadil, a rapporté à l'AFP une source proche du dossier.

«Ce que le colonel a fait aux moines»

Disant avoir dépendu du centre territorial de recherche et d'investigations d'Oran (CTRI), il aurait constaté que les groupes jihadistes étaient largement infiltrés par les services algériens: «Des terroristes téléphonaient et j'ai entendu des conversations», «J'ai vu des mères de terroristes venir au centre militaire d'investigations et on leur donnait de l'argent», a raconté Mourad B. au juge.

Fin 2009, début 2010, il exprime le souhait d'arrêter de travailler pour les services. Cet «infiltré» explique qu'un supérieur l'aurait alors prévenu «qu'on ne sortait pas de chez eux comme on y entrait». Un autre officier se serait ensuite fait plus précis dans ses menaces: « Si tu nous trahis, on fera ce que le colonel (...) a fait aux moines », l'aurait prévenu ce supérieur, selon sa déclaration. Mourad B. quitte l'Algérie début 2011 pour la France. Son titre de séjour a depuis expiré, le plaçant sous la menace d'une expulsion vers l'Algérie où, dit-il, il serait en danger.

Prudence sur ce nouveau témoignage

«Cette audition apporte un élément supplémentaire dans le sens de l'implication des services algériens», a commenté l'avocat des familles des moines, Me Patrick Baudouin, qui a toutefois appelé à la prudence, «le témoignage n'étant pas direct».

Pour tenter de faire le départ entre les versions, les juges Trevidic et Nathalie Poux se sont rendus à l'automne en Algérie, notamment pour autopsier les têtes des moines (les corps n'ont jamais été retrouvés). Etablir que les décapitations ont été réalisées post mortem serait de nature à accréditer la thèse d'une manipulation pour dissimuler les causes du décès et faire croire à l'implication des islamistes.

Mais Alger a refusé d'envoyer des prélèvements en France pour des analyses. Les familles des moines de Tibéhirine y ont vu une «confiscation des preuves» et ont considéré qu'avec ce refus la version officielle d'un crime islamiste avait encore perdu du crédit.