Le Nigeria peut-il vaincre rapidement Boko Haram?
INTERVIEW•Roland Marchal, chercheur au CNRS et au CERI-Sciences Po, explique à «20 Minutes» pourquoi la promesse du gouvernement d’éradiquer le groupe islamiste en six semaines est intenable...Propos recueillis par Bérénice Dubuc
Encore un délai qui risque de ne pas être tenu. Sambo Dasuki, le conseiller national à la sécurité du président du Nigeria, Goodluck Jonathan, a affirmé lundi que «tous les camps connus de Boko Haram seront balayés» et le pays pacifié dans les six semaines de report des élections présidentielles et législatives. Mais, comme l’explique à 20 Minutes Roland Marchal, chercheur au CNRS et au CERI-Sciences Po, cette promesse, fondamentalement liée à la campagne présidentielle en cours, ne sera pas tenue.
Comment interprétez-vous l’annonce du délai que se donne le Nigeria pour battre Boko Haram?
C’est fondamentalement en lien avec la campagne présidentielle. Le camp de Goodluck Jonathan, le président sortant [Parti démocratique populaire, PDP], est inquiet face à la montée de son principal concurrent, l'ancien général Muhammadu Buhari, candidat du Congrès progressiste (ACP).
Ils espéraient gagner, mais du fait du manque de réussite en ce qui concerne Boko Haram, le candidat du Nord, qui démographiquement devait perdre, a commencé, ces dernières semaines, à remonter dans les sondages, les gens pensant qu’il pourrait peut-être y changer quelque chose. Dès lors, cette annonce est une tentative du parti au pouvoir de gagner temps avant les élections, et quelques points sur Boko Haram éventuellement aussi.
Boko Haram peut-il être défait?
Il faut d’abord souligner que ce mouvement a des origines sociales profondes. La zone d’implantation de Boko Haram, dans le Nord et le Nord-Est du pays, est particulièrement pauvre. De plus, l’armée nigériane a été incapable de se battre car elle ne connaît pas le terrain, car le renseignement est très mauvais, du fait d’une compétition entre les services, et qu’il règne au sein de l’armée comme au sein de l’appareil d’Etat une corruption gigantesque. Pour vous donner une idée, chaque jour au Nigeria, environ 100.000 barils de pétrole sont volés. Si la politique économique ne change pas de celle qui est menée actuellement, et s’il n’y a pas une remise à plat de l’appareil d’Etat, Boko Haram n’est pas près d’être défait.
S’il était élu, Muhammadu Buhari pourrait-il abattre Boko Haram?
Je suis sceptique, mais il pourra toujours agir mieux que ce qu’a fait Goodluck Jonathan en six ans. Si Muhammadu Buhari gagne, la situation politique pourrait changer, et l’appareil d’Etat être réformé, car la lutte contre la corruption ne peut être limitée à l’armée: il faut le faire à tous les niveaux de l’Etat, à commencer par le plus haut pour gagner en crédibilité. Mais ce travail sera long et fastidieux, et les résultats ne seront pas immédiats. Ce serait une politique difficile, qu’il devra mener sur le long terme, soit 10-15 ans.
Par ailleurs, si Muhammadu Buhari pourrait réussir à pacifier un peu le Nord, il faut aussi noter que le Mouvement pour l'émancipation du delta du Niger (MEND), qui a pris les armes pour défendre les populations bafouées dans le sud du pays, est en train de se réarmer. Ce qui pourrait créer un autre foyer de déstabilisation, cette fois au Sud.