Affaire Nisman: «La mort d’un procureur remet en question la sécurité des citoyens et la qualité des institutions»
INTERVIEW•Dario Rodriguez, spécialiste de l'Argentine, explique les conséquences de l'affaire Nisman, procureur mort le 19 janvier alors qu'il accusait le gouvernement d'entraver l'enquête sur l'attentat le plus meurtrier de l'histoire argentine...Oihana Gabriel
Jeudi, l’ancien patron des services secrets argentins qui enquêtait avec Alberto Nisman sur les attentats de 1995 devait être entendu par la justice. En vain. Tandis que le mystère entourant la mort du procureur Nisman s’épaissit, l’affaire fragilise le pouvoir politique argentin. Dario Rodriguez, docteur associé au Centre d'études et de recherches internationales (CERI), joint par 20 Minutes, analyse la situation politique en Argentine…
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Est-ce que la thèse d’un coup monté pour affaiblir le pouvoir en place vous semble crédible?
Difficile à dire. La communication du gouvernement n’a pas été très claire: rapidement il a soutenu l’hypothèse du suicide, pour ensuite la nier et maintenant il essaie de montrer qu’Antonio Stiusso (ancien patron des services secrets argentins) aurait poussé Alberto Nisman à inculper le pouvoir. On sait aussi que l’agent secret Antonio Stiusso fournissait des informations au procureur Nisman. Et Stiusso a été poussé vers la sortie en décembre par le gouvernement qui réforme les services secrets. Mais il reste des zones d’ombre dans cette enquête sur l’attentat de 1995. La procédure du procureur Nisman était parsemée d’irrégularités. Les preuves que voulait présenter Alberto Nisman restent faibles. D’autre part, il devait présenter ses accusations en janvier, mois de vacances des tribunaux argentins.
Est-ce que Cristina Kirchner a commis des erreurs politiques?
La réforme des services secrets est plutôt positive pour la démocratie. Mais prendre une décision aussi rapidement, sans négociation, sans accord au-delà des soutiens du kitchnérisme, fait penser à une stratégie opportuniste. Elle aurait dû articuler cette transformation avec un projet de plus long terme avec les autres forces politiques.
Que révèle l’affaire sur les services secrets?
Justement, qu’on ne sait pas trop ce qu’ils font! L’agence a eu un rôle très sinistre pendant la dictature, rôle qu’on n’a jamais questionné. Ils restent les ombres de la démocratie. On soupçonne qu’ils ont une fonction d’espionnage de politiques. Avec cette réforme radicale des services secrets, Cristina Kirchner ne va pas se faire que des amis. Et une fois certains limogés, il faudra former les futurs agents.
Est-ce que cette affaire affaiblit le clan kirchneriste à quelques mois des élections?
C’est certain. Cristina Kirchner ne va pas se représenter en octobre 2015 car il lui faudrait une réforme constitutionnelle. Mais plusieurs successeurs sont en lice. La mort d’un procureur, de manière mafieuse, remet en question la sécurité des citoyens et la qualité des institutions. Mais ça ne veut pas forcément dire que le clan kirchnériste sera en difficulté aux prochaines élections. D’une part parce qu’on a vu des chutes et hausses de la popularité de ce clan. D’autre part parce que l’opposition est très dispersée.
Est-ce que globalement douze ans de kirchnérisme ont assis la démocratie en Argentine?
Il y a eu des avancées démocratiques, notamment sur l’espace audiovisuel, et sociales, notamment pour les chômeurs. Mais il y a un manque de soin apporté à la communication. Cristina Kirchner opte pour une communication informelle, proche des gens mais ce n’est pas n’importe qui! Et surtout il reste un problème avec les institutions judiciaires. La société argentine est aujourd’hui très divisée entre pro et anti kitchérisme. Et les médias ont épousé cette division, du coup il est compliqué d’obtenir une information fiable.
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