INTERVIEWTerrorisme: «Il manque encore une volonté politique d’harmonisation des lois dans le terrorisme et le crime organisé, les deux étant intimement liés»

Terrorisme: «Il manque encore une volonté politique d’harmonisation des lois dans le terrorisme et le crime organisé, les deux étant intimement liés»

INTERVIEWAlain Rodier, spécialiste du terrorisme estime que les pays européens doivent mieux coordonner leurs renseignements, lois et actions pour mieux lutter contre le terrorisme...
Oihana Gabriel

Propos recueillis par Oihana Gabriel

Ce lundi, Laurent Fabius se rend à Bruxelles, où les ministres des affaires étrangères européens évoqueront la lutte contre le terrorisme dans la perspective du conseil européen des 12 et 13 février qui doit déboucher sur un plan d'action pour renforcer la coopération entre États membres comme avec les pays tiers. Les pays européens trouveront-ils un accord pour mieux lutter contre le terrorisme? Alain Rodier, directeur après du centre français de recherche et du renseignement a répondu aux questions de 20 Minutes.

Quelles mesures permettraient de mieux lutter contre le djihadisme en Europe?

Les services de renseignement des pays européens collaborent déjà étroitement et ça fonctionne bien. J’en veux pour preuve l’arrestation des deux Belges en France dans un tunnel vers l’Italie le 16 janvier. Tous les états se sentent concernés par le terrorisme. Mais le problème reste que les Etats n’ont pas la même législation. Le cas du Passenger Name Record (PNR) a été symbolique: ce fichage des voyageurs sur les compagnies aériennes est actuellement bloqué par le Parlement européen. Le PNR est une des mesures à prendre d’urgence pour contrôler le déplacement des citoyens européens. Quand on n’a rien à se reprocher, on ne peut s’offusquer que son nom apparaisse sur une liste de voyageurs revenant d’Istanbul ou de Karachi…

>> Qu’est ce que le PNR ?

Où en est-on aujourd’hui de la coordination entre les états?

Il manque encore une volonté politique d’harmonisation des lois concernant le terrorisme et le crime organisé, les deux étant intimement liés. Si les frères Kouachi se sont fourni des armes, c’est forcément auprès du crime organisé. Il ne faut donc pas renouveler l’erreur des Américains avec le Patriot Act: ne pouvant augmenter le nombre de fonctionnaires ils ont délégué leur guerre contre le terrorisme à des fonctionnaires qui combattaient le crime organisé. Or, il faut combattre les deux. La deuxième dérive des Américains à éviter, c’est qu’ils sont partis en Irak, un pays qui n’avait rien à voir avec Al-Qaida. On voit le résultat aujourd’hui.

>> Le Patriot Act, c'est quoi?

Faut-il revenir sur l’espace Schengen?

A mon avis, on ne reviendra pas en arrière. C’est d’une part très difficile à mettre en place et sur le plan opérationnel d’une efficacité discutable. Pour les attentats en France, un contrôle aux frontières n’aurait rien changé. Par contre, il semble important de renforcer les frontières extérieures de l’Europe. Si on avait un meilleur contrôle de nos frontières et un fichier centralisé, on aurait vu que les frères Kouachi avaient fait un tour au Yémen.

Est-ce que ces attentats montrent que le djihadisme a pris un autre visage?

C’est Al-Qaida qui a refait surface dans la guerre qui l’oppose à Daesh. L'organisation de l'Etat islamique appelle les volontaires à tuer, mais n’est pas capable de monter une opération de cette ampleur. Al-Qaida était en perte de vitesse sur le front syro-irakien et sur la communication face à Daesh. C'est pour que les volontaires ne continuent pas à quitter le mouvement pour Daesh que Al-Qaida a lancé cette opération.

Est-ce que les attentats de Paris peuvent changer les choses?

Oui. Les autres attentats en Europe à Londres et Madrid étaient aveugles. Là ce sont des journalistes, policiers, juifs qui étaient visés. Ce drame pourrait sensibiliser les décideurs politiques. Il faut que nos lois soient adaptées à la menace. Il faudrait faciliter les extraditions, la coopération opérationnelle entre polices pour que par exemple les policiers ne s’arrêtent pas lors d’une traque à la frontière. On pourrait envisager un FBI en Europe à l’européenne.

La sécurité des pays de l’Europe passera-t-elle par coordination dans toute l’Europe?

Bien sûr. En Europe, nous avons mis la charrue avant les bœufs. Si on veut concevoir une Europe forte il faut une union fédérale. Si on continue à faire de l’économie la seule priorité, on n’arrivera pas à des décisions politiques harmonisées.