Massacre de Boko Haram au Nigéria: «Ils m'ont dit de ne pas perdre mon temps à chercher qui que ce soit...»
ISLAMISME•Une survivante de l'attaque sanglante de la ville de Baga témoigne...N.Beu. avec AFP
Kaltuma Wari a vu le massacre commis par Boko Haram à Baga le 3 janvier. Mais à la différence de centaines de personnes, «voire plus», qui ont péri dans l'attaque, selon Amnesty International, cette mère nigériane de neuf enfants a survécu. Elle raconte.
Calfeutrée dans sa maison pendant les combats, ce 3 janvier, Katuma Wari se voit encore sortir de chez elle. Accompagnée de ses trois plus jeunes enfants, la quadragénaire se met en quête de son mari pêcheur et de ses six autres enfants. Dans les rues désertes de Baga, elle tombe sur cinq hommes armés. Ils lui demandent de la suivre. Elle hésite. Ils la mettent en joue. Elle obtempère, et se voit escortée jusqu'à un pensionnant pour jeunes filles bondé.
«Il y avait plus de 500 femmes et des centaines d'enfants», raconte-t-elle à l'AFP par téléphone depuis Maiduguri, la capitale de l'Etat de Borno où elle a trouvé refuge, à quelque 160 kilomètres au sud de Baga. Les prisonniers sont gardés dans des dortoirs, des classes et en extérieur, alors que souffle un vent froid. «La plupart d'entre nous avons été séparées de nos enfants et de nos maris», explique Kaltuma Wari.
«Focalisés sur les jeunes filles»
«Ils n'ont touché aucune femme, ils étaient focalisés sur les jeunes filles. Ils les surveillaient et un homme armé les accompagnait partout, même jusqu'aux toilettes.» Chaque jour, les islamistes rapportent des vivres volés dans les marchés de la ville et forcent les femmes à cuisiner pour eux. Nombre d'entre elles ne peuvent rien avaler, bien trop choquées et abattues.
Quand les insurgés «en ont eu marre» des femmes trop «hystériques», ils ont décidé de les relâcher, témoigne Kaltuma Wari. «Nous étions une centaine. Toutes des mères. Ils n'auraient jamais laissé des jeunes femmes partir», dit-elle. Les enlèvements de jeunes filles sont fréquents dans le nord-est du Nigeria depuis le début de l'insurrection de Boko Haram, il y a six ans. Ces femmes et jeunes filles servent d'esclaves sexuelles, font la cuisine et les tâches ménagères dans les camps de Boko Haram, et elles sont aussi utilisées en première ligne dans les combats, d'après un rapport de Human Rights Watch d'octobre 2014.
L'odeur putride des cadavres
Une fois libérée, Kaltuma Wari découvre sa ville en ruines. «J'ai vu beaucoup de maisons brûlées et des corps en état de décomposition», raconte-t-elle. «J'ai dû me couvrir le nez, avec un morceau de mon voile, à cause de l'odeur putride des cadavres.» «Il n'y a plus personne dans la ville, à part Boko Haram. Ils y patrouillent jour et nuit. Ils ne dorment pas de la nuit. Ils ont fait de la base militaire [de la force régionale MNJTF] leur quartier-général.» «Aussi, ils ont emménagé dans toutes les grandes maisons» de Baga. «Presque tous les villages que nous avons traversés en chemin vers Munguno [à environ 65 km] étaient désertés. Seules restent les femmes âgées, trop faibles pour parcourir cette longue distance.»
Kaltuma Wari est toujours sans nouvelles de son mari, un pêcheur de 57 ans, et de ses six aînés. «[Les hommes de Boko Haram] m'ont dit de ne pas perdre mon temps à chercher qui que ce soit parce qu'ils les avaient tous tués», se souvient-elle. Elle pense aux femmes trop faibles qu'elle a dû abandonner sur le chemin, dans sa fuite vers Maiduguri, et à celles qui sont sans doute toujours aux mains des islamistes. «De nombreuses femmes sont trop malades pour se nourrir, elles ne peuvent même pas marcher. Je pense qu'elles vont mourir de froid.