DECRYPTAGEPourquoi le Mexique s’enflamme-t-il?

Pourquoi le Mexique s’enflamme-t-il?

DECRYPTAGEDepuis la disparition de 43 étudiants fin septembre, les tensions se font de plus en plus fortes au Mexique, la population exprimant son ras-le-bol de la corruption qui gangrène la classe politique...
Bérénice Dubuc

Bérénice Dubuc

Des journées de mobilisation, des grèves et, depuis une semaine, des manifestations de colère qui dégénèrent violemment. Alors que les 43 étudiants de l'école normale d'Ayotzinapa, disparus le 26 septembre à Iguala, dans l'Etat de Guerrero, au Mexique, sont toujours introuvables, la mobilisation se fait plus violente au Mexique, d'autant plus depuis l'annonce vendredi par le ministre de la Justice que les disparus ont probablement été massacrés par des membres du crime organisé, selon les aveux de trois d'entre eux.

Des manifestants s'en sont ainsi pris au palais présidentiel dans la nuit de samedi à dimanche, l'accès à l'aéroport international d'Acapulco a été bloqué pendant trois heures lundi, et mardi, c’est le siège régional du parti au pouvoir, le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), qui a été incendié à Chilpancingo. Cette affaire, l’une des «plus graves enregistrées dans l'histoire contemporaine du Mexique et d'Amérique latine», selon Human Rights Watch, a pris de l’ampleur tout au long du mois d’octobre au Mexique, rappelle Jean-Jacques Kourliandsky, spécialiste de l’Amérique Latine à l’Iris.

La corruption des autorités mise en lumière

«Ce drame connaît un écho national du fait de l’importance du crime, mais aussi car Iguala est une ville particulière. C’est là que l’indépendance du Mexique a été proclamée en 1821, et là que le drapeau mexicain a été créé», ajoute le spécialiste. Mais c’est surtout la collusion avérée entre autorités locales et cartels qui a révulsé la population: selon les autorités, les étudiants ont été attaqués sur ordre de l'ancien maire d'Iguala, José Luis Abarca, et de son épouse, Maria de Los Angeles Pineda. Le couple, en fuite pendant plusieurs semaines, a été arrêté début novembre.

«Jusqu’ici, l’implication des autorités politiques et policières locales dans le crime organisé n’était pas ouvertement mise sur le devant de la scène, note Alain Rodier, directeur de recherche au Centre français de recherche sur le renseignement (Cf2r) et auteur du livre Le crime organisé du Canada à la Terre de Feu (Ed. du Rocher, 2013). Mais avec cette affaire, elle est complètement mise en lumière

Dès lors, la population, qui subit depuis nombre d’années la violence des cartels et la corruption, voire la collusion, des autorités, se révolte. «Désormais, le niveau létal est atteint, ce qui explique les débordements violents dans les manifestations», juge Alain Rodier. Et les manifestants s’en prennent à l’ensemble de la classe politique, jusqu’au plus haut niveau de l’Etat. «Beaucoup de Mexicains doutent aujourd’hui de leur président, de leurs députés, de leur justice, de leur police, de leurs institutions à lutter contre la mafia», abonde Jean-Jacques Kourliandsky.

Impasse

Le spécialiste souligne que la série de réformes entreprises par Enrique Peña Nieto depuis son arrivée au pouvoir en décembre 2012 pour dynamiser l’économie contraint aujourd’hui les autorités à agir. «Cette affaire est si importante qu’elle affecte désormais l’image du Mexique à l’international. Or, le pays a besoin d’investisseurs étrangers, et ceux-ci risquent d’y regarder à deux fois si la corruption et l’insécurité sont galopantes.»

Mais les autorités mexicaines sont-elles capables d’éradiquer cartels et corruption? Pas vraiment, estime Alain Rodier, qui explique que le Mexique leur livre depuis 2006, sous l’impulsion de Felipe Calderon, une véritable guerre civile, sans grand résultat: plus de 80.000 morts et 20.000 disparus en huit ans.

«C’est un système quasi-historique, qui existe depuis la création du Mexique, et qui va perdurer.» Selon lui, après l’échec de la solution forte, les autorités se retrouvent aujourd’hui dans une impasse. «Ils pourront éradiquer les cas les plus voyants, à titre d’exemple, mais le crime organisé ne mourra pas au Mexique.»