Tsingtao: la bataille de la Première guerre mondiale qui hante les relations Chine-Japon

Tsingtao: la bataille de la Première guerre mondiale qui hante les relations Chine-Japon

7 novembre 1914: la garnison allemande de Tsingtao, sur la côte ...
Un jeune homme se tient derrière un canon alors qu'il visite un fort contruit par les Allemands pendant le Première guerre mondiale à Qingdao (Chine)
Un jeune homme se tient derrière un canon alors qu'il visite un fort contruit par les Allemands pendant le Première guerre mondiale à Qingdao (Chine) - Wang Zhao AFP
© 2014 AFP

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7 novembre 1914: la garnison allemande de Tsingtao, sur la côte chinoise, capitule devant l'armée japonaise. Cent ans après, l'unique bataille de la Première guerre mondiale en Asie orientale continue de nourrir la tenace animosité entre Pékin et Tokyo.

Loin des tranchées, le siège de Tsingtao (aujourd'hui Qingdao), bataille méconnue de la Grande guerre, n'a fait que quelques centaines de morts -- peu par rapport au carnage en Europe.

Mais l'évènement témoigne de l'impuissance de la jeune République chinoise, née en 1911, devant les affrontements étrangers sur son sol.

Il aura d'importantes répercussions: l'Allemagne perdit un territoire stratégique de son empire au profit du Japon, qui conforta ainsi ses visées expansionnistes en Asie. La nouvelle donne contribuera puissamment au sursaut de la conscience nationale chinoise.

L'anniversaire du siège de Tsingtao intervient alors que le Premier ministre japonais Shinzo Abe est attendu à Pékin à l'occasion du forum annuel de l'Apec, réunissant les dirigeants de l'Asie-Pacifique.

«C'est une petite bataille, relativement oubliée, mais extrêmement emblématique de la manière dont des puissances étrangères s'arrachaient des territoires chinois sans se soucier de la Chine», a souligné l'historien britannique Jonathan Fenby, dans une récente conférence à Pékin.

Surtout, le siège de Tsingtao allait intensifier l'hostilité des relations entre Pékin et Tokyo, a-t-il indiqué.

- Villas, bière et base navale -

Lorsque la guerre éclate à l'été 1914, la Chine connait déjà une période de graves troubles après l'effondrement de la dynastie impériale Qing. Des parties du pays --ports ouverts et concessions-- sont sous le contrôle de puissances occidentales.

Ayant rejoint tardivement les aventures coloniales, l'Allemagne avait obtenu en 1897 Tsingtao, port sur la mer Jaune dans l'est de la Chine, dont elle fera l'une de ses bases navales dans l'Asie-Pacifique (à côté de la Nouvelle-Guinée et des îles Samoa et Marshall).

Villas de pierres grises et bâtiments d'architecture germanique sur des collines plantées de pin dominent toujours la vieille ville de Qingdao --connue mondialement pour sa bière de marque «Tsingtao», autre héritage légué par les Allemands.

A la même époque, le Japon est une puissance en pleine modernisation, confortée par ses victoires militaires éclatantes sur la Russie tsariste et la Chine impériale.

Appelé à soutenir le Royaume-Uni, son allié, le Japon lance rapidement ses troupes, appuyées de navires britanniques, à l'attaque de Tsingtao.

Les hostilités débutent fin août, mais le siège ne commence que le 31 octobre: huit jours plus tard, les militaires allemands hissent le drapeau blanc, et les autorités japonaises s'installent dans la ville.

Un souvenir cuisant pour la Chine: «A l'époque, les Japonais étaient prêts à nous chercher querelle, tout comme Shinzo Abe» - l'actuel Premier ministre japonais, accusé par Pékin de glorifier le «passé militariste» de son pays -, s'indigne un vieil homme dans un parc de Qingdao.

Le transfert de pouvoir sera entériné en 1919 par le Traité de Versailles, qui, en donnant aux Japonais un contrôle élargi sur la péninsule du Shandong, où se trouve Qingdao, scandalisera la Chine et jettera dans la rue une jeunesse indignée.

- 'Humiliation nationale' -

L'occupation japonaise (1937-1945) renforça le sentiment d'humiliation en Chine, et ce lourd passif n'a cessé d'envenimer depuis les relations avec le Japon, accusé par Pékin de ne pas assumer «son passé d'agression».

Noriyuki Nakama, homme d'affaires japonais en visite à Qingdao, pense qu'il faut remettre en contexte le siège de 1914: «Le Japon avait peur du colonialisme occidental, cela l'a poussé à vouloir accroître sa puissance et s'étendre (...) c'était sans doute difficilement évitable».

Aujourd'hui, aucune rencontre formelle entre le Premier ministre nippon et le président chinois Xi Jinping n'est attendue à Pékin: la Chine «jouera son rôle pour recevoir tous ses hôtes» à l'Apec, mais le Japon «doit se confronter aux problèmes existants» et «faire preuve de sincérité», a insisté le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi.

Dans un parc de Qingdao, une inscription indique en grands caractères: «N'oubliez jamais l'humiliation nationale» -- dans la ligne des slogans patriotiques et volontiers anti-nippons du Parti communiste.

«Tous les Chinois savent parfaitement que les relations sino-japonaises sont exécrables», commente Zhu Yuhua, un expert culturel rencontré au musée de Qingdao dédié à 1914. «C'est une évidence».