Hong Kong: les prostituées vivent dans la peur après un double meurtre
Même en semaine, Wanchai, quartier chaud de Hong Kong, grouille de monde. Les mama-san comme on appelle ici les tenancières des bars de nuit, veillent sur les jeunes femmes pour la plupart venues du Sud-Est asiatique qui tentent d'appâter le client.© 2014 AFP
Même en semaine, Wanchai, quartier chaud de Hong Kong, grouille de monde. Les mama-san comme on appelle ici les tenancières des bars de nuit, veillent sur les jeunes femmes pour la plupart venues du Sud-Est asiatique qui tentent d'appâter le client.
C'est à Wanchai, connu pour ses bars glauques et ses enseignes fluorescentes, que Sumarti Ningsih et Seneng Mujiahsih, deux Indonésiennes d'une vingtaine d'années, ont été tuées.
Leurs corps mutilés ont été retrouvés dans l'appartement de Rurik Jutting, un trader britannique de 29 ans, qui a été inculpé. La police cherche à établir si les victimes étaient des prostituées comme l'affirme la presse locale.
Le double meurtre de la nuit de Halloween rappelle que même dans l'ancienne colonie britannique, l'une des villes les plus sûres du monde, les travailleuses du sexe sont vulnérables.
«La police est venue nous montrer les photos des deux filles. Personne ne les connaissait mais ce qui leur est arrivé est horrible», dit Maria, originaire des Philippines. Elle gagne à Hong Kong l'argent qui fait vivre sa fille de trois ans et un parent malade.
Maria travaille dans un «girlie bar», c'est-à-dire un établissement où les femmes touchent des commissions pour chaque boisson consommée ou pour des lap dance, sous l'oeil de leurs patronnes plus âgées.
La prostitution organisée et les bordels sont illégaux à Hong Kong mais les indépendantes peuvent proposer légalement des relations tarifiées. Beaucoup de prostituées travaillent pour un seul estaminet, où elles signent des contrats de six mois.
Lorsqu'elles se sont mises d'accord avec un client, elles quittent le bar auquel elles versent «une amende» pour compenser leur absence car les établissements eux-même ne peuvent pas vendre de sexe. Elles se retrouvent donc seules face au client.
- Des prostituées du Sud-Est asiatique -
C'est ce dont viennent de prendre conscience Maria et ses collègues. Mais elles disent qu'elles n'ont pas le choix.
«Je ne peux pas avoir peur....Je dois travailler. Je dois gagner de l'argent pour ma famille», dit Maria à l'AFP.
Jadis un lieu de perdition et de violences bien connu des marins britanniques et américains, Wanchai abrite aussi une foule de restaurants, d'immeubles résidentiels et de gratte-ciel remplis de bureaux. Ses bars louches, concentrés essentiellement sur une section de rue, font néanmoins l'effet d'un aimant sur une population masculine occidentale, expatriée et fortunée.
Les prostituées viennent pour la plupart des Philippines, de Thaïlande, du Vietnam et de l'Indonésie. Elles fuient des conditions de pauvreté extrême et ont choisi le territoire passé sous tutelle chinoise en 1997 parce qu'il est considéré comme relativement sûr.
La police les laisse plutôt tranquilles. Les atteintes aux personnes sont rares. Seuls 14 meurtres ont été commis les six premiers mois de l'année dans cette ville de sept millions d'habitants.
On ne sait pas encore si Sumarti et Seneng étaient des prostituées ou si elles cherchaient simplement à se trouver un petit ami quand elles ont rencontré Rurik Jutting.
La plupart des femmes qui travaillent à Wanchai ne se considèrent pas comme des prostituées, selon Zi Teng, une association locale qui leur vient en aide. «Elles sortent avec des petits amis ou elles tentent de nouer des relations avec les étrangers», explique Lee, membre de cette association. «Parfois, elles prennent de l'argent, parfois non».
La frontière est floue, raconte un expatrié occidental habitué de ces bars. «Pour ces filles, décrocher un mari étranger, c'est le but ultime. Si elles vous aiment bien et qu'elles pensent qu'il y a une chance pour que la relation aille plus loin, alors les relations sexuelles sont gratuites. Mais s'il est clair que c'est juste pour le sexe, alors elles se disent +autant se faire de l'argent en même temps+».
Sumarti est entrée à Hong Kong avec un visa de touriste, arrivé depuis à expiration. Elle avait travaillé auparavant comme domestique. Sa famille a expliqué à l'AFP qu'elle la croyait employée par un restaurant.
Seneng est arrivée avec un visa de domestique valable jusqu'en 2012, d'après le consulat indonésien. Après, son statut n'est pas clair.
Il est fréquent que les employées de maison ayant perdu leur emploi se tournent vers la prostitution, souligne Lee. «Elles commencent à travailler dans les bars et de là finissent prostituées».
«J'ai peur après ces meurtres», dit Moon, 27 ans, qui partage son temps entre Hong Kong et sa Thaïlande natale. «Peut-être que je vais rentrer».