«Je suis parti pour qu’un jour ma fille se dise, "Papa n’a pas laissé tomber Kobané"»
INTERVIEW•Le 30 septembre, Cahit, franco-kurde, partait pour la frontière turco-syrienne. Désormais de retour chez lui, ce «combattant pacifique», a accepté de livrer ses impressions du front...Propos recueillis par Romain Lescurieux
Kobané est devenu le symbole de la lutte contre l'organisation de l'Etat islamique. Si les combattants kurdes résistent encore, malgré le manque d’armes et de renforts, la ville menace chaque jour de basculer entre les mains des djihadistes. C’est ce qui a incité Cahit, 31 ans, à partir vers cette place stratégique.
Délaissant le combat armé, ce Franco-Kurde a finalement opté sur place pour l’aide aux réfugiés. Après deux semaines sous les tirs d’obus, il est revenu ce dimanche, chez lui, en région parisienne, mais envisage déjà de repartir. Il raconte son expérience à 20 Minutes.
Qu’est-ce qui vous a motivé à partir?
J’ai 31 ans, je suis informaticien, j’habite à Pantin. Jusque-là, je menais une vie pépère. Mais dès que la bataille de Kobané a commencé, notamment avec les atrocités commises par Daesh, j’ai voulu y aller, et je suis parti. J’ai donc aidé les réfugiés en apportant de France de l’eau et de la nourriture achetée avec mes économies. En partant, j’avais aussi envie de combattre et de lutter contre Daesh. Mais les Kurdes ont davantage besoin d’armes que d’hommes actuellement. De plus, je n’ai pas de formation, j’aurais donc été inutile. En fait, via mon apport matériel, j’étais un combattant pacifique au service de la résistance.
A quoi ressemblait votre quotidien?
Je discutais avec des réfugiés, avec des enfants, des membres des Unités de Protection du Peuple, je distribuais et j’aidais comme je pouvais. Je twittais aussi beaucoup (son compte Twitter est passé de 100 à près de 10.000 followers en quelques jours, ndlr). Des photos, mes impressions, des informations, je publiais tout ce qui me paraissait important. Sans jamais d’enjolivement même si je suis pro-kurde.
Quelle est la situation sur place? La bataille de Kobané risque-t-elle de durer?
Je suis allé dans le centre de Kobané au début. Après, les Turcs ont bloqué tous les accès, tous les postes à la frontière et ont installé des chars. Donc je ne pouvais plus y aller mais je me cachais à certains endroits à la frontière pour être le plus proche de Kobané et voir ce qu’il s'y passait. Honnêtement, il y a une semaine, je pensais que la ville allait tomber aux mains de Daesh. Mais les frappes américaines ont bien limité leur progression. Désormais, c’est de la guérilla de rue, il y a des combats pour des pâtés de maison. Cependant les deux côtés sont très affaiblis, en termes d’artillerie, de munitions, de renforts. Ça risque de durer encore un peu, sauf si la Turquie lève le blocus. Dans ce cas, Daesh sera écrasé en une journée.
Que retirez-vous de cette expérience?
J’ai une petite fille de trois mois. Je ne voulais pas qu’un jour en grandissant, elle me demande "Papa, tu faisais quoi à l’époque de Kobané, pourquoi tu n’as rien fait?" Je voulais plutôt qu’elle se dise "Papa n’a pas laissé tomber Kobané" et ses réfugiés.
Comptez-vous y retourner prochainement?
Je suis revenu dimanche et là je n’arrive pas à travailler. Ma tête est là-bas et je suis très inquiet du sort de Kobané. Donc oui, je compte y retourner. C’est même prévu. Nous récoltons actuellement des fonds avec amis, Français et Kurdes pour y aller et encore une fois aider. Car dans quelques mois, en plein hiver, la tension sera sûrement redescendue, les caméras du monde entier seront parties ailleurs, mais les réfugiés, eux, seront là et auront besoin de nous et de beaucoup d’autres.