Siège de Kobané: Les forces kurdes toujours seules à défendre la ville
DÉCRYPTAGE•Les membres de la coalition ont toujours martelé qu’ils n’enverraient pas de soldats au sol, et le président turc a posé des conditions préalables à toute intervention...Bérénice Dubuc
Ils sont entrés dans Kobané et pourraient bien s’en emparer. Ce mardi, malgré le bombardement de plusieurs de leurs positions par des avions de la coalition qui ont pu freiner leur progression, les djihadistes du groupe Etat islamique (EI) ont pris trois quartiers de la ville kurde syrienne de Kobané. Et, alors que les forces kurdes continuent de livrer bataille, la ville tout entière est sur le point de tomber entre les mains de l’EI.
Les forces kurdes -- peu armées — n’ont en effet pas été renforcées par des troupes de la coalition, les membres de cette dernière ayant choisi de ne pas envoyer de soldats au sol. Ce leitmotiv a été martelé par les Américains -mais aussi par les Français - depuis le début de leur engagement au sein de la coalition. Mais les raids aériens ne sont plus suffisants, comme l’a souligné mardi le président turc, Recep Tayyip Erdogan. «Larguer des bombes depuis les airs ne mettra pas un terme à la terreur. La terreur ne sera pas stoppée par des frappes aériennes et tant que nous ne coopérerons pas en vue d'une opération terrestre avec ceux qui mènent le combat sur le terrain», a-t-il martelé.
«Une question politique»
Pourtant, les troupes turques -puissantes (l’armée turque est la deuxième de l’Otan en nombre) et géographiquement proches, puisqu’elles sont massées autour du poste frontière de Mursitpinar, à quelques kilomètres à peine de Kobané- pourraient elles intervenir.
Le Parlement turc a en effet donné jeudi son feu vert formel en vue d'une intervention militaire en Syrie et en Irak contre les djihadistes de l'EI. «C’est une question politique», souligne Alain Rodier, directeur de recherche au Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). «Le président Erdogan n’admet pas qu’un possible état kurde soit créé au sud de la Turquie, et veut en parallèle à tout prix faire tomber le président syrien Bacahar al-Assad.»
Tractations en coulisse
Avant tout envoi de troupes au sol, le pouvoir turc a donc posé deux conditions, explique le spécialiste. «D’abord que les Kurdes syriens rejoignent l’Armée syrienne libre (ASL) et participent effectivement à la rébellion pour renverser Bachar al-Assad. Ensuite, que les kurdes syriens rompent leurs liens avec le PKK, toujours considéré comme une organisation terroriste par la Turquie.»
Pour l’heure, Ankara ne semble pas avoir obtenu gain de cause, mais «la situation évolue très vite et il doit sans doute y avoir de lourdes tractations en coulisses», selon Alain Rodier. Paris et Ankara sont notamment en contact, a indiqué le ministre des Affaires Etrangères Laurent Fabius ce mardi après-midi.
Car perdre la troisième ville kurde de Syrie serait une défaite importante pour la coalition, pas tant sur le plan militaire que psychologique. «Opérationnellement, Kobané n’est pas une place forte, mais c’est à l’heure actuelle la question vitale et centrale de la bataille contre l’EI», juge Alain Rodier. «Si elle tombait, ce serait un revers militaire pour les forces kurdes et pour la coalition en montrant que les frappes aériennes ne sont pas si efficaces que cela, mais cela aurait aussi un effet psychologique dévastateur sur la coalition et galvaniserait au contraire les djihadistes et leurs admirateurs.» Le spécialiste conclut: «Si personne n’intervient au sol, la situation va devenir inextricable.»