L'Autriche n'arrive pas à écraser sa dernière cigarette
Un enfer tabagique, ou un îlot de résistance selon les avis. La sage Autriche est une rebelle de la cigarette : on y fume toujours au restaurant et dans les bars, une exception en Europe.© 2014 AFP
Un enfer tabagique, ou un îlot de résistance selon les avis. La sage Autriche est une rebelle de la cigarette : on y fume toujours au restaurant et dans les bars, une exception en Europe.
«Je souhaite, si c'est possible, une interdiction totale de fumer dans les cinq prochaines années», a pourtant avancé début septembre la nouvelle ministre de la Santé, Sabine Oberhauser.
Mme Oberhauser, qui vient d'entrer en fonctions, a prudemment ajouté qu'aucune décision ne serait prise sans négociations avec le secteur - qui ne veut rien savoir pour l'instant.
La France, où il est depuis longtemps interdit de fumer dans tout lieu public (entreprises, cafés, discothèques...) a annoncé jeudi une nouvelle étape dans sa lutte anti-tabac : elle va adopter le paquet de cigarettes «neutre», déjà expérimenté en Australie, interdire le tabac dans les voitures transportant des enfants et la cigarette électronique dans certains lieux publics.
En Autriche, la dernière grande modification de la loi autrichienne sur le tabac est entrée en vigueur au 1er janvier 2009. Elle interdit la cigarette dans les lieux publics... mais prévoit une longue série d'exceptions, en particulier pour la restauration.
Les établissements de moins de 50m2 peuvent ainsi choisir d'être fumeurs ou pas. Au-delà de cette surface, le propriétaire des lieux peut proposer une salle pour les fumeurs, si elle est - en principe - hermétiquement séparée d'une autre salle non-fumeur.
- Loi «programmée pour échouer» -
Les nombreuses exceptions à la loi, et l'absence d'une institution chargée du contrôle de son application, rendent toute vérification impossible.
«La loi actuelle était programmée pour échouer», explique à l'AFP le professeur de médecine viennois Manfred Neuberger, qui a participé à plusieurs études sur l'efficacité de la loi autrichienne pour la protection des non-fumeurs.
«Cette loi qu'on a actuellement, je la trouve un peu ridicule», convient Roman, 38 ans, un client attablé au Café Drechsler dans le centre de Vienne : «Ou bien on a une interdiction, ou bien on n'en a pas, mais là ça ne convient à personne.»
Le Drechsler, qui enfreignait la loi, a été contraint de passer il y a un peu plus d'un an à une interdiction totale, pour échapper à l'empilement des amendes provenant de plaintes anonymes de clients.
La cigarette semble pourtant encore loin d'être hors la loi en Autriche, un pays où nombre de centres commerciaux prévoient une salle fumeurs, et alors qu'un bureau de tabac figure, par exemple, parmi les commerces installés dans le hall de l'AKH... qui n'est autre que le plus grand hôpital public de Vienne, la capitale.
- Cigarettes à moins de 5 euros -
Autre illustration d'un climat favorable au tabac, le prix des cigarettes est parmi les plus bas en Europe occidentale : 4,90 euros en moyenne, contre 7 euros en France, ou près de 11 euros au Royaume-Uni. Et l'arrivée sur le marché d'une marque low-cost va conduire le n°1 du secteur, un grand manufacturier américain, à baisser le prix de sa marque-phare dès ce mois de septembre.
Les Autrichiens fument plus que la moyenne des autres Européens, mais pas tant que cela : un tiers de la population est fumeuse, selon le dernier baromètre européen réalisé début 2012, contre 28% dans l'UE des 27.
Alors, qu'est-ce qui empêche l'adoption d'une loi plus restrictive ? Le sociologue Karl Krajic pointe la culture du compromis au sein du gouvernement, où la coalition entre le SPÖ de centre gauche et l'ÖVP de centre droit est la quasi-règle depuis 1945. Résultat, dit-il, «il est difficile d'imposer quelque chose».
Le professeur Neuburger, lui, croit que la solution pour durcir la loi anti-tabac pourrait venir du Parlement. A une condition : que les députés puissent voter sans consignes de leurs groupes politiques.
De son côté, la Chambre de commerce autrichienne (WKO) continue de s'opposer à une interdiction totale, rappelant les investissements qu'ont fait les restaurateurs pour se mettre en conformité avec la loi (près de 100 millions d'euros).
Pour Thomas Wolf, représentant de la WKO pour la gastronomie, le contrat passé en 2008 lors de l'élaboration de la loi doit être maintenu.
Mais son avis n'est pas forcément partagé par l'ensemble du secteur. «En mettant en place une interdiction totale, les cartes seraient redistribuées pour tout le monde», estime ainsi le patron du Café Drechsler.