INTERVIEWCrise syrienne: «Si une aide suffisante n’est pas procurée au Liban, le pays va arriver à son point de rupture»

Crise syrienne: «Si une aide suffisante n’est pas procurée au Liban, le pays va arriver à son point de rupture»

INTERVIEWLes réfugiés affluent toujours plus nombreux dans le pays, au risque de déstabiliser un peu plus le pays...
Bérénice Dubuc

Propos recueillis par Bérénice Dubuc

Au moins 1,2 million de Syriens se sont réfugiés au Liban depuis le début de la crise dans leur pays. Des réfugiés qui continuent d’affluer alors que la coalition menée par les Etats-Unis bombarde depuis quelques jours des positions de Daesh en Syrie. Alors que les acteurs humanitaires font face à une baisse de financements, cette pression démographique contribue à déstabiliser un peu plus le pays du Cèdre, ce que détaille à 20 Minutes Gareth Richards, le directeur de l’ONG CARE au Liban.

Quelles sont actuellement les répercussions du conflit syrien au Liban?

La situation y est beaucoup plus complexe et plus sérieuse au Liban que dans n’importe quel autre pays de la zone. Le Liban détient le record du plus grand nombre de réfugiés par habitant. Une personne sur quatre au Liban est un réfugié, et ce chiffre est en augmentation constante. Les Nations Unies estiment que quelque 50.000 réfugiés syriens supplémentaires arrivent chaque mois dans le pays. Mais, dans le même temps, l’aide humanitaire est en baisse car d’autres crises (Soudan du Sud, Gaza, Irak, ...) ont attiré l’attention des médias et de la communauté internationale, et donc les financements. De ce fait, les besoins énormes des réfugiés syriens au Liban ne sont pas satisfaits.

Malgré vos programmes et ceux des autres ONG sur place?

Oui car, face à ce manque de moyens, nous sommes obligés de prioriser nos actions, et d’aider d’abord les plus vulnérables -ceux qui n’ont plus de moyen de subsistance, pas d’attaches sur place, les familles où les maris ont été tués ou sont portés disparus. Toutes les ONG sont dans la même situation, et comme nous ne savons pas pour l’heure quels fonds vont être disponibles, nous ne pouvons pas anticiper et préparer par exemple l’approche de l’hiver -achat de chauffages d’appoint, couvertures, vêtements chauds…- pour ces réfugiés qui vivent souvent dans des lieux insalubres, sans équipements de base (eau, sanitaires, électricité, chauffage), sans portes ni parfois même fenêtres.

Qu’attendez-vous de la réunion du Groupe International de Soutien au Liban aux Nations Unies à New York vendredi?

Nous espérons que cette réunion va permettre de placer le Liban comme pays prioritaire pour l’aide humanitaire internationale. Si une aide suffisante n’est pas procurée au Liban, toutes les analyses soulignent que le pays va arriver à son point de rupture -même si on ignore encore exactement quand. Si les fonds continuent à baisser alors que les besoins augmentent, il y a un risque de conflit majeur entre les différentes communautés.

Les questions de sécurité ne se posent donc pas seulement du fait de la crise syrienne ?

La crise syrienne -aussi bien le conflit entre le gouvernement et les différents groupes rebelles, que la lutte et les raids contre Daesh-, contribue bien sûr à l’instabilité. De plus, les affrontements entre l'armée libanaise et des djihadistes venus de Syrie à Aarsal amènent certains à faire le lien entre les terroristes qui détiennent les soldats et les réfugiés Syriens, qui sont ciblés et attaqués alors qu'ils n'y sont pour rien.

Mais c’est surtout la pression démographique qui a des répercussions sur la sécurité. Même si le peuple libanais est incroyablement généreux, on commence à vraiment sentir les tensions et frustrations chez les populations hôtes, qui se retrouvent en «compétition» pour obtenir travail, logement, nourriture, mais aussi des besoins de base (eau, sanitaires). Nous essayons, avec les autres ONG, de pallier ces besoins, mais c’est une tâche énorme, qui demande du temps et des moyens.