Pédophilie: «Il y a une dimension symbolique à juger cette affaire au Vatican»
INTERVIEW•Bernard Lecomte, auteur de «Les secrets du Vatican», apporte son éclairage alors que la cité-Etat a engagé des poursuites pénales contre un ancien prélat...Propos recueillis par Bérénice Dubuc
Un procès historique pourrait s’ouvrir au Vatican fin 2014 ou début 2015. Les autorités de la cité-Etat ont annoncé mardi l'ouverture d'une procédure pénale pour pédophilie contre Jozef Wesolowski, ancien nonce apostolique (ambassadeur) en République dominicaine. L'instruction devrait prendre «quelques mois», et un procès est possible. Le prélat risque six à sept ans de prison, sans compter d'éventuelles circonstances aggravantes. Selon Bernard Lecomte, auteur de Les secrets du Vatican (éd. Perrin), cette procédure pénale s’inscrit dans la ligne de fermeté concernant les violences sexuelles faites aux enfants initiée par Benoît XVI.
Si les poursuites aboutissent, ce serait la première fois qu’un prélat est jugé au pénal pour pédophilie au Vatican?
Oui. Le Vatican est un Etat souverain, qui possède sa propre justice. Elle est calquée, dans la procédure et les méthodes, sur le droit italien: un procureur (appelé «promoteur de justice»), un avocat, des juges (tous italiens et n’appartenant pas à la Cité du Vatican pour éviter toute collusion) et une procédure contradictoire, avec des témoins et experts auditionnés.
Le tribunal du Vatican fonctionne en permanence, mais cela va effectivement être la première fois qu’un prélat est jugé au pénal pour une affaire de pédophilie, notamment parce que, dans les affaires dont on a eu connaissance, les religieux sont mis en cause à l’étranger (Irlande, Etats-Unis…) et dépendent donc de la justice de ces pays. Ici, Jozef Wesolowski est citoyen du Vatican, et y a été rappelé en urgence en août 2013.
Il y a déjà été jugé…
Oui, et sanctionné. Il a été condamné en juin par un tribunal ecclésiastique à la réduction à l'état laïc -la peine la plus forte qui puisse être infligée sur le plan religieux-, a perdu son poste et s’est vu retirer son passeport diplomatique.
Et maintenant, une procédure pénale est engagée. Jozef Wesolowski va-t-il servir d’exemple?
Il faut bien comprendre que ce n’est pas un cas classique. La grande majorité des cas de pédophilie dans l’Eglise qui ont alimenté l’actualité ces dernières années, et notamment en 2010, remontent à 25 ou 30 ans. Dans ce cas, Jozef Wesolowski a été accusé en 2013 d'avoir eu des relations sexuelles tarifées avec des mineurs en République dominicaine. Il y a une dimension symbolique à juger au Vatican même cette affaire.
Car ce procès s’inscrit dans la ligne de fermeté initiée par Benoît XVI…
Oui. Grâce à Benoît XVI -qui n’était encore que le cardinal Ratzinger-, dès 2001, le Vatican a décidé de centraliser tous les dossiers de cas de pédophilie au niveau de l’Eglise, puis en 2010, de les instruire en toute transparence et avec une grande sévérité. Benoît XVI avait à l’époque parlé de «tolérance zéro».
Aujourd’hui, François poursuit sur cette ligne de fermeté de façon claire, nette et radicale. C’est lui qui a souhaité que cette affaire soit instruite au Vatican. Il a une volonté d’en finir avec ce type d’affaires, car il juge à titre personnel qu’elles sont «épouvantables», mais aussi parce qu’il y a clairement un intérêt absolu de l’Eglise à cesser de prêter le flanc à la suspicion morale. C’est un procès historique, qui peut établir un précédent judiciaire pour les éventuelles prochaines procédures.