VIDEO. Emeutes à Ferguson: «On a l’impression que c’est la vieille Amérique qui ressurgit»
VIOLENCES•Selon la politologue Nicole Bacharan, spécialiste des Etats-Unis...Propos recueillis par Thibaut Le Gal
Ferguson (Missouri) est secoué par des émeutes depuis la mort de Michael Brown.
>> Diaporama: Le Missouri s'embrase après la mort de Michael Brown
Ce jeune noir non armé avait été tué le 9 août dernier par un policier blanc dans des circonstances très controversées. La ville a connu une nouvelle nuit d’affrontements violents entre manifestants et forces de l’ordre. Pour Nicole Bacharan, chercheur à la Hoover Institution à l’Université Standford en Californie, et auteur des Secrets de la Maison Blanche (Perrin, en septembre), ce drame, qui fait écho à l’affaire Trayvon Martin de 2012, fait ressurgir les tensions raciales qui persistent aux Etats-Unis.
En quoi ce drame est-il symbolique pour la communauté noire?
Il y a toujours à Ferguson, une hostilité et une méfiance mutuelle entre les noirs et la police. Face à un garçon noir très grand qui déambule dans la rue, la police a visiblement vu un suspect et a pu le traiter avec une brutalité extrême. Du côté des noirs, il y a une méfiance, la police est perçue comme une menace et pas comme une protection. Ce drame met en lumière des situations qui n’ont pas disparu dans d’autres villes. C’est pourquoi il rencontre un tel écho dans le pays et sur les réseaux sociaux.
Comment expliquer que cette méfiance persiste?
La ville n’a jamais affronté son histoire raciale. Des réformes qui ont eu lieu ailleurs n’ont pas eu lieu ici à Ferguson. Après les émeutes des années 1960 à Détroit, Chicago, ou à San Francisco, la police locale a engagé beaucoup de noirs dans ses rangs pour qu’elle ne soit plus perçue comme une «armée d’occupation». A Ferguson, la police est blanche. Il faut aussi replacer la ville dans le contexte particulier du Missouri, un Etat esclavagiste qui s’est divisé en deux pendant la guerre de Sécession. Une partie de la ville est allée avec l’armée du Nord, l’autre avec le Sud. Pendant la période de déségrégation, Saint-Louis a connu une des émeutes les plus sanglantes des Etats-Unis, qui a fait 300 morts.
Rien n’a changé depuis?
Des choses ont été faites, mais les structures de pouvoir sont restées blanches: maire, conseil municipal, conseil scolaire, gouverneur. L’autorité de manière générale est toujours perçue comme blanche.
Ce drame est-il un échec pour Barack Obama?
La mort de Michael Brown n’est pas un échec personnel pour Obama. Personne n’attendait que le racisme disparaisse du pays avec son élection. Si la crise venait à se développer, ce serait un échec car la Maison Blanche, le FBI, les autorités fédérales sont maintenant directement impliquées dans la gestion de la crise.
Certains reprochent à Obama d’avoir abandonné la «communauté noire» depuis son élection…
Obama n’est pas le président des noirs. Il est le président des Américains. Certaines personnes déplorent qu’il n’y ait pas eu de «black agenda». Mais la déception n’est pas si générale. Il a pris des positions claires à chaque fois qu’il y a eu des drames de ce type. Il a démarré sa carrière politique avec un focus particulier sur ces questions de race et de justice, cela n’a pas disparu dans son discours.
La vie des noirs a-t-elle changé depuis l’élection d’Obama?
La question raciale se lie à la question sociale. Aujourd’hui, l’économie va relativement bien. Plus il y a d’emplois, plus la politique sociale est efficace. Mais les changements sont surtout symboliques. Son élection a donné beaucoup d’espoir à la communauté noire. Malgré les difficultés, il a montré que tout était possible pour eux. C’est pourquoi cette tragédie choque autant. On a l’impression que c’est la vieille Amérique qui ressurgit. Celle qui ne devrait pas exister quand on a un président noir à la Maison Blanche.
Que demande la communauté afro-américaine?
Justice et égalité. Les noirs sont souvent plus pauvres, donc moins bien défendus devant les tribunaux, plus souvent condamnés, plus nombreux dans les prisons et parmi les condamnés à mort. Ils représentent 12 à 14 % de la population et 50 % des détenus. Il existe aussi une forme de pauvreté que même une économie fleurissante et des programmes sociaux parfois très ambitieux n’ont pas réussi à entamer. Cette question n’est pas que noire, mais la proportion des très pauvres est plus forte dans cette communauté.
Cette affaire peut-elle entamer le crédit d’Obama pour les élections de mi-mandat en novembre prochain?
Il paraît impossible que la communauté noire vote pour les Républicains. Ce qui menace le parti d’Obama, c’est l’abstention. Il y a toujours plus d’abstention aux mid-term, et plus particulièrement dans la communauté noire.