Ukraine: «Les acteurs sont conscients des enjeux et savent qu’il faut ménager les Russes»
DÉCRYPTAGE•L’économiste Alexandre Kateb explique à «20 Minutes» pourquoi les sanctions économiques à l’encontre de la Russie ont un effet boomerang pour les puissances occidentales...Bérénice Dubuc
Les membres du G7 se réunissent ce lundi soir à La Haye, aux Pays-Bas, pour discuter d’éventuelles sanctions contre la Russie. Mais punir le régime de Vladimir Poutine n’est pas si aisé pour les Occidentaux, comme l’explique à 20 Minutes Alexandre Kateb, économiste et directeur du cabinet de conseil et d’analyse économique, géopolitique et financière Competence Finance.
Quelles pourraient-être les conséquences pour la Russie d’une exclusion du G8?
Cette exclusion serait une mesure purement symbolique. Le G8 n’est en effet qu’un groupe de coordination et de discussion, il n’est pas une instance véritablement décisionnaire.
Et si d’autres instances, comme le G20 par exemple, excluaient la Russie?
Voir la Russie exclue du G20 semble hautement improbable. De nombreux pays membres ont des liens forts avec elle, qu’ils essayent de renforcer. Il semble donc difficile d’atteindre un consensus comme celui qui se dégage au G8. La Russie ne peut pas non plus être exclue d’autres organisations internationales, puisque cela nécessiterait des votes à majorité très importante. Et, même pendant la guerre froide, l’URSS n’avait pas été exclue des organisations internationales, y compris après l’invasion de l’Afghanistan en 1979. Tout comme les Etats-Unis ne l’ont pas été lorsqu’ils ont unilatéralement envahi l’Irak en 2003.
Quelles sanctions économiques pourraient avoir un impact?
Celles prises la semaine dernière par les Etats-Unis et l’Union européenne n’en ont pas eu, sauf peut-être l’interruption des transactions Visa et Mastercard, mais qui ont en partie été rétablies. Il faut souligner que toutes les sanctions qui pourraient être prises ont un effet boomerang, car un pays comme la Russie joue un rôle important dans les échanges économiques internationaux.
C’est un acteur majeur sur le marché de l’énergie (premier producteur et exportateur mondial d’hydrocarbures), et elle a à ce titre un poids colossal: aucun pays ne peut prendre le risque de voir quelles conséquences des sanctions à son encontre pourraient avoir sur les marchés mondiaux -notamment sur les prix du pétrole. Certes, les Etats-Unis sont sur un registre un peu différent, puisqu’ils n’ont pas les mêmes liens économiques avec la Russie que les Européens. Ils peuvent se permettre de demander plus de sanctions, car les conséquences les toucheront plus à la marge.
Les Occidentaux sont donc pieds et poings liés?
Il y a une diplomatie officielle, forte, pour que la Russie ne franchisse pas un palier supplémentaire, mais aussi en arrière-plan des discussions qui se poursuivent car les acteurs sont conscients des enjeux et savent qu’il faut ménager les Russes: ils sont certes une partie du problème, mais aussi de la solution.
Cependant, si la Russie franchit les frontières ukrainiennes par exemple, ce sera l’escalade. Là, il pourrait avoir des sanctions prises pour asphyxier son économie en la coupant du système financier international, peut-être sur le modèle de celles qui sont appliquées à l’Iran. Mais cela peut avoir un effet pervers. Dans le cas de l’Iran, si ces sanctions ont bien eu un impact négatif sur l’économie, elles ont aussi poussé le pays à se tourner vers des puissances alternatives, comme la Chine.
De telles sanctions contre la Russie pourraient pousser à une multipolarisation croissante et désoccidentalisée de l’économie mondiale. Plutôt que de sanctionner, le plus raisonnable serait de mettre en place une désescalade, et une reconnaissance de fait de l’annexion de la Crimée.