JAPONJapon: «Si je pars, qui s’occupera de la communauté?»

Japon: «Si je pars, qui s’occupera de la communauté?»

JAPONLes réfugiés du tsunami, qui vivent depuis trois ans déjà dans des hébergements temporaires, ont du mal à imaginer la vie au-delà du préfabriqué…
Mathias Cena

Mathias Cena

De notre envoyé spécial à Kamaishi

C'est le nec plus ultra du provisoire. Ce refuge, conçu par l’institut de gérontologie de la prestigieuse université de Tokyo, est «pris comme modèle par les autres», dit fièrement Isao Moriya, son président. Ici, dans le complexe n°6 d’hébergement temporaire de Heita, près de la ville de Kamaishi, les 430 résidents sont effectivement mieux lotis que la plupart des 34.000 personnes qui ne peuvent toujours pas rentrer chez elles dans la préfecture d’Iwate (ils sont 274.000 dans l’ensemble de la région du Tohoku).

Les baraques en préfabriqué sont nettes, les allées en bois larges et adaptées aux fauteuils roulants des nombreuses personnes âgées, et, détail qui a son importance, les portes se font face, contrairement à la plupart des établissements de ce type, où les baraques «regardent» toutes dans la même direction. «Cela n’a l’air de rien, mais ça permet de créer un esprit de communauté», explique Isao Moriya. Le mot revient sans cesse dans la bouche de ce retraité de 72 ans. Il faut dire que les habitants délogés de Kamaishi par le tsunami, répartis dans des foyers d’hébergement le long de la côte, ont été étalés sur plus de 100 km. Et ceux qui se trouvent ici «viennent d’horizons divers, ont tous connu des choses différentes, des blessures, des traumas différents, ajoute-t-il. On essaie d’organiser des activités, de créer un sens de la communauté, mais c’est très difficile.»

«On ne sait pas si on aura l’énergie de rentrer chez nous»

La vie s’organise ici, dans ce provisoire qui dure depuis trois ans déjà, et dont certains, tout en aspirant à reprendre leur vie d’avant le tsunami, craignent de sortir. «Je voudrais rentrer chez moi à Matsubara, mais on vieillit, on ne sait pas ce qu’on sera dans cinq ans», raconte Inako Abe, une femme d’une soixantaine d’années dont le salon de coiffure a été détruit par la vague du 11 mars 2011. Elle en a rouvert un dans une allée du complexe temporaire, un semblant de normalité pendant cette période transitoire. «On ne sait pas combien de temps ça prendra avant de pouvoir rentrer chez nous, et on ne sait pas non plus si on en aura l’énergie», renchérit Kuniko Minawa, une autre sexagénaire des lieux.

Alors que depuis un an, les gens commencent à déménager pour s’installer dans les maisons peu à peu reconstruites, Shinji Sasaki a des états d’âme: «Tout ce qu’on a fait ici en valait-il la peine? Après tout, c’est temporaire…» Ce jeune retraité de 61 ans a la parole franche, et ne cache pas sa colère contre le gouvernement par qui il se sent abandonné et qui continue à promouvoir le nucléaire, comme une «insulte» à toutes les victimes. Même s’il sait qu’un jour le complexe fermera et le terrain sera rendu à son propriétaire, il a choisi de ne pas penser à l’avenir. «Je ne veux pas rentrer chez moi. Si je pars, je ne sais pas qui s’occupera de la communauté.»

Kamaishi, dans la préfecture d'Iwate, Nord-Est du Japon. - Capture google maps