Le Japon et son passé: une histoire interminable
•Il aura suffi que le 26 décembre le Premier ministre japonais aille au sanctuaire Yasukuni de Tokyo, où sont honorés 2,5 millions de morts pour le Japon dont 14 criminels de guerre, pour en avoir confirmation: le passé du Japon lui colle à la peau.© 2014 AFP
Il aura suffi que le 26 décembre le Premier ministre japonais aille au sanctuaire Yasukuni de Tokyo, où sont honorés 2,5 millions de morts pour le Japon dont 14 criminels de guerre, pour en avoir confirmation: le passé du Japon lui colle à la peau.
«Que ce soit juste ou injuste, le Japon est toujours jugé en comparaison avec la façon dont l'Allemagne a affronté son passé nazi», semble regretter Robert Dujarric, directeur des Etudes Asiatiques à l’université Temple de Tokyo.
Car, 68 ans après sa capitulation, le Japon en est toujours à devoir justifier sa «bonne conduite démocratique» et donner des gages de son pacifisme à ses voisins, surtout la Chine et la Corée du Sud, qui ne perdent pas une occasion de lui rappeler les pages les plus sombres de son histoire.
Cette fois, ce sont aussi des «amis», américains et allemands, qui se sont inquiétés des retombées de ce déplacement dans le sanctuaire sulfureux: pour une bonne partie de l'Asie, il symbolise le passé militariste du Japon.
Washington s’est dit ouvertement «déçu» tandis que Berlin invitait Tokyo à regarder son passé «avec honnêteté».
«Le Japon n'a jamais été aussi désireux de contribuer à la paix et la stabilité internationales», rétorque Yuichi Hosoka, un universitaire membre d'un comité de conseil du Premier ministre.
En arrivant au pouvoir en décembre 2012, le «faucon» Shinzo Abe avait apparemment mis son agenda nationaliste en sourdine, pour se consacrer à l’économie.
Mais au fil des mois, sans doute conforté par un début de reprise et une large victoire de son parti aux élections sénatoriales l'été dernier, sont peu à peu réapparues ses «vraies couleurs» selon l'expression d'un quotidien: celles d’un homme qui veut un «Japon fort», décomplexé et respecté par ses voisins. L’une de ses premières décisions avait d'ailleurs été en 2013 d’augmenter le budget de la défense, une mesure inédite en onze ans.
«Un Japon avec une posture militaire +normale+ mais des vues +anormales+ de l'Histoire ne peut qu’accroître la méfiance des pays de la région», estime Gui Yongtao, un professeur de l’Ecole des Etudes Internationales à l'Université de Pékin.
Refonte des manuels d'histoire
Petit-fils d’un ancien ministre de l'Armement pendant la guerre et Premier ministre ensuite, Shinzo Abe reste «droit dans ses bottes», quitte à donner des signaux en apparence contradictoires: il va au Yasukuni mais dans le même temps il affirme sa volonté pacifiste: «le Japon ne doit plus jamais mener de guerre».
Ou encore: alors qu’en mai 2013 il affirme que le Japon ne reviendra pas sur les excuses formulées en 1995 pour les «dommages et souffrances immenses» infligés «aux peuples d'Asie», il caresse parallèlement le projet très controversé de réformer la Constitution pacifiste imposée par les Américains en 1947 et dont l'article 9 consacre la renonciation «à jamais» à la guerre. «68 ans ont passé, il est temps d'approfondir le débat national en vue d'une révision pour être en phase avec le changement d'époque», plaidait-il dernièrement.
Clairement, avec cette révision «d'ici à 2020», M. Abe veut une fois pour toutes tourner la page de la seconde guerre mondiale: «je pense qu'alors le Japon aura totalement rétabli son statut et apportera une grande contribution à la paix dans la région et le monde», écrivait-il début 2014 dans le quotidien conservateur Sankei Shimbun.
Mais son côté bulldozer de droite et son nationalisme décomplexé ne font pas l'unanimité au Japon. Sa cote a chuté de 10 points pour avoir fait voter en urgence en décembre une loi sur les secrets d'Etat jugée «liberticide» par les milieux intellectuels et une bonne partie de la presse, certains allant jusqu’à évoquer la «loi de préservation de la paix» de 1925 sur la base de laquelle plus de 70.000 personnes furent arrêtées de 1925 à 1945.
Son gouvernement veut également refondre des manuels d’histoire pour y présenter une «version équilibrée» de faits toujours brûlants dans les mémoires: le massacre de la ville chinoise de Nankin en 1937 et les «femmes de réconfort» enrôlées de force dans des bordels de campagne par l’armée nippone.
Si des membres du Parti Libéral-Démocrate (présidé par M. Abe) veulent en fait, selon l'agence Kyodo, en finir avec «les auto-condamnations» du Japon, le Ministère de l'Education assure, lui, vouloir rendre les jeunes Japonais «plus patriotiques et respectueux de la culture traditionnelle».
Reste qu'à cause du passé, Tokyo, Pékin et Séoul ont toujours du mal à bâtir l'avenir: leurs dirigeants ne se sont pas rencontrés une seule fois officiellement en un an.