Malala, rescapée des talibans devenue une icône mondiale, voudrait devenir Premier ministre
PORTRAIT•L'adolescente, qui a survécu à une balle dans la tête, est devenue un symbole de la lutte pour l'éducation et contre l'extrémisme...20 Minutes avec AFP
La Pakistanaise Malala Yousafzaï, couronnée jeudi du prix Sakharov à seulement 16 ans, est une militante pour le droit à l'éducation propulsée symbole mondial de la lutte contre l'extrémisme après avoir survécu par miracle à une attaque des talibans. Long voile traditionnel tombant sur ses cheveux bruns foncés, joues rondes et teint hâlé, regard franc et lumineux, voix flutée, Malala a vu sa vie basculer il y a un an, le 9 octobre, à Mingora, capitale de sa vallée natale de Swat, joyau naturel du nord-ouest pakistanais.
Ce jour-là, deux tueurs talibans font irruption à l'arrière du petit bus qui la ramène de l'école. Après avoir demandé laquelle des jeunes filles présentes était Malala, le premier lui tire une balle dans la tête à bout portant. Le projectile ricoche sur le coin gauche du crâne et ressort par la nuque. Dans le coma, entre la vie et la mort, l'adolescente est évacuée dans un hôpital de Birmingham, en Angleterre, où elle a reprend conscience six jours plus tard. «Où étais-je? Qui m'avait amenée? Où étaient mes parents? Mon père était-il encore en vie? J'étais terrifiée. La seule chose que je savais c'est qu'Allah m'avait bénie en m'accordant une nouvelle vie», raconte l'adolescente dans son autobiographie «Moi, Malala», best seller annoncé publié cette semaine dans plus de cinq langues.
Naissance d'une icône
Son histoire a bouleversé une partie de l'opinion publique à travers le monde, mais aussi secoué son Pakistan natal, en partie gangrené par l'extrémisme. Elle commence en 2007, lorsque les rebelles islamistes fondamentalistes talibans du Maulana Fazlullah imposent leur loi dans la vallée de Swat, jusque-là paisible région touristique. Soutenus au départ par une partie de la population déçue par l'inefficacité de l'Etat, les talibans finissent par se l'aliéner, notamment en assassinant leurs opposants et en empêchant les filles de se rendre à l'école.
Du haut de ses 11 ans, Malala, fille de Ziauddin, militant pacifiste et directeur d'école dont elle est très proche, et d'une mère illettrée, alimente un blog publié sur le site de la BBC en ourdou, la langue nationale. Sous le pseudonyme de Gul Makai, elle y décrit le climat de peur régnant dans sa vallée et sa privation d'école par les talibans.
Le nom de cette gamine au sang froid, très bonne élève amoureuse des livres et du savoir, commence à circuler à Swat, puis dans le reste du pays lorsqu'elle remporte le premier prix pakistanais pour la paix. Les talibans, délogés de la vallée par l'armée en 2009 mais toujours menaçants, décident alors d'éliminer celle qu'ils accusent de véhiculer «la propagande occidentale» contre eux.
L'attaque contre cette écolière de 15 ans à l'époque aura l'effet inverse du but recherché: elle choque au Pakistan et à l'étranger, notamment en Occident où elle devient une star. Depuis, celle qui vit aujourd'hui avec sa famille à Birmingham n'en finit plus d'accumuler les prix internationaux (Anna Politkovskaïa, Fondation Clinton, Amnesty International...). De David Beckham à Angelina Jolie, on ne compte plus les célébrités qui se sont affichées avec elle. Portrait exposé à la National Gallery de Londres, autobiographie, t-shirt à vendre en ligne: un an après l'attaque, Malala est partout.
«La plume est plus forte que l'épée»
Mais son hyper-médiatisation en Occident ne plaît pas à tout le monde, notamment dans son Pakistan natal, déchiré par les violences et les soubresauts de l'interminable conflit dans l'Afghanistan voisin, très proche de Swat. Dans ce pays conservateur de 180 millions d'habitants abonné aux théories du complot, Malala n'échappe pas à la règle. Les cercles islamistes voient en elle, comme en son père accusé de la manipuler, un «agent des Etats-Unis» ou «de l'Occident» monté de toute pièce pour corrompre la jeunesse et propager une culture anti-islamique. «Si tu avais été la cible d'une attaque d'un drone américain, est-ce que le monde entier se serait soucié de ton état de santé?», écrivit ainsi cet été Adnan Rashid, un commandant taliban pakistanais, dans une lettre à Malala.
L'adolescente, dont le coin de la bouche demeure paralysé depuis l'attaque, répond toujours avec dignité à ses détracteurs, affirmant, comme cet été au siège de l'ONU, que «la plume est plus forte que l'épée», et qu'elle ne ressent «aucune haine envers le taliban» qui l'a attaquée. L'adolescente qui aime les films de Bollywood, la série américaine Ugly Betty et les beignets de poulet, dit rêver de devenir un jour femme politique au Pakistan. Elle a déclaré jeudi à New York qu'elle aimerait bien devenir le Premier ministre de son pays pour le «sauver». Mais, plus que jamais menacée par les talibans, pourra-t-elle un jour seulement rentrer dans son pays natal? Lors de son discours à l'ONU, elle portait avec émotion un châle ayant jadis appartenu à Benazir Bhutto, la seule femme à avoir été Premier ministre du Pakistan, où elle fut assassinée à la fin 2007, peu après son retour d'exil.