Italie: «Le Cavaliere était perçu comme un clown de la politique, ce n’est pas le cas»

Italie: «Le Cavaliere était perçu comme un clown de la politique, ce n’est pas le cas»

INTERVIEW – Maître Carlo Alberto Brusa est avocat à la cour et spécialiste de la vie politique italienne. Il répond à «20 Minutes» sur la crise politique qui ébranle l’Italie…
Propos recueillis par Faustine Vincent

Propos recueillis par Faustine Vincent

La démission surprise samedi de cinq ministres du parti de Silvio Berlusconi au sein du gouvernement de coalition en Italie a déclenché la stupeur et une nouvelle crise politique. Comment expliquez-vous cette décision?

Silvio Berlusconi est un homme qui n’a plus rien à perdre. On a sous-évalué son intelligence manichéenne. Il a une jouissance personnelle à voir qu’il peut conditionner l’avenir de l’Italie toute entière. Hormis dans les dictatures, qui a le pouvoir, par sa simple parole et son aura, de dicter la marche d’un pays? On s’est longtemps moqué du berlusconisme. Le Cavaliere était perçu comme un clown de la politique. Ce n’est pas le cas.

Quel impact ces démissions ont-elles à court terme?

Si le président, Giorgio Napolitano [ancien communiste], ne parvient pas à former un nouveau gouvernement, cela déclenchera des élections anticipées. Entre-temps, toutes les décisions seront bloquées. Ces démissions ajoutent une nouvelle crise politique à la crise économique. C’est une catastrophe au moment où l’Italie doit entrer en récession l’année prochaine, selon les prévisions du FMI. L’Italie pourrait basculer, comme en Grèce. Il y a un risque d’embrasement, d’autant que les Brigades rouges [groupe armé italien d'extrême gauche] ne sont pas mortes!

Quelle est la stratégie de Berlusconi?

Le 4 octobre, le Sénat devait se prononcer sur sa destitution, qui le priverait de l’immunité parlementaire [et provoquerait l’exécution de sa peine de quatre ans de prison - ramenés à un seul par une amnistie - pour fraude fiscale]. Berlusconi se bat pour ne pas perdre cette immunité.

Il a l’arrogance de penser qu’il peut gagner cette guerre et que son parti, le Peuple de la liberté (PDL, droite), peut remporter la majorité lors d’élections anticipées [c’est le parti de gauche du Premier ministre Enrico Letta qui détient actuellement la majorité] et faire annuler cette question d’immunité. S’il y parvient, il aura gagné sur la politique et la magistrature.

Peut-il bénéficier du soutien de la population?

Avant ces démissions, un sondage lui donnait 35% d’opinions favorables. Il faudrait voir à combien il est maintenant. Quoi qu’il en soit, c’est un soutien énorme. Mais il faut se rappeler que Berlusconi possède trois chaînes de télévision nationale et deux journaux – Il Giornale et le Corriere della Sera – qui disent du bien de lui. Depuis 1994, les gens sont matraqués. Il est présenté comme le meilleur, le plus beau, le plus intelligent… Aux dernières élections, il était donné à 18%. Finalement, il remporté 30% des voix. En revanche, une autre bonne partie de l’Italie le rejette.

Comment cela se traduit-il?

Par un ras-le-bol vis-à-vis de la classe politique et une abstention croissante. Il règne un fort pessimisme en Italie, pas seulement sur le plan politique. Les Italiens sont atterrés par le manque de projet et de vision de l’avenir. A cela s’ajoute la gestion catastrophique de la problématique de l’immigration, ce qui risque un jour de se réveiller. Lors de mon dernier séjour sur place, j’ai aussi constaté la montée des extrêmes. Pas celui d’un parti politique - l’équivalent du Front national n’existe pas en Italie – mais dans le langage. Face à la situation dramatique de l’Italie et l’augmentation de la pauvreté, j’ai entendu des discours qui ressemblent à ce que dit Marine Le Pen, y compris de la part de gens de gauche.