DECRYPTAGEMort des moines de Tibéhirine: Dix-sept ans après, où en est l’enquête?

Mort des moines de Tibéhirine: Dix-sept ans après, où en est l’enquête?

DECRYPTAGEDes doutes subsistent sur la thèse officielle expliquant le décès des moines cisterciens français...
Bérénice Dubuc

Bérénice Dubuc

Dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, sept moines français sont enlevés dans leur monastère de Tibéhirine, à 80 km au sud-ouest d'Alger, séquestrés puis tués. Leurs têtes sont découvertes deux mois plus tard sur le bord d'une route de montagne dans la région de Médéa, mais leurs dépouilles n’ont jamais été retrouvées. Dix-sept ans après, des doutes subsistent sur la thèse officielle expliquant leur décès.

Quelle est cette thèse officielle?

Selon Alger, les moines ont été décapités par les islamistes de Djamel Zitouni, émir du Groupe islamique armé (GIA), qui les avaient kidnappés. Cependant, aucune enquête préliminaire n’a été ouverte par le parquet français au lendemain de la mort des moines, rompant avec la pratique habituelle, et éveillant les soupçons de manipulation, tout comme la tentative de dissimilation par les autorités algériennes du fait que les corps complets des moines n’avaient pas été retrouvés.

Quelles sont les autres pistes?

Fin 2003, après une plainte contre X déposée en France, une information judiciaire pour «enlèvements, séquestrations et assassinats en relation avec une entreprise terroriste» est ouverte. Le juge antiterroriste Marc Trévidic récupère le dossier en 2007. A l’été 2009, après l’audition du général François Buchwalter, l'enquête se réoriente vers une bavure de l'armée algérienne. Selon l’ancien attaché de défense à l’ambassade de France à Alger, lors d’une mission, des militaires en hélicoptère ont tiré sur un bivouac d’islamistes et ont ensuite découvert qu’ils avaient tiré sur les moines. Ces derniers auraient alors été décapités pour laisser croire à une exécution et leurs corps criblés de balles dissimulés pour que les causes exactes de leur mort restent inconnues.

Selon une autre piste, les moines ont été victimes d'un faux enlèvement ordonné par le Département du renseignement et de la sécurité (DRS), avec la complicité de Djamel Zitouni, le GIA étant infiltré par des hommes du DRS. Ils auraient ensuite été éliminés sur ordre de la sécurité militaire. Plusieurs anciens agents du DRS ont déposé devant le juge Trevidic confirmant l’implication des services secrets algériens dans l’enlèvement et la mort des trappistes.

Quelles sont les preuves ?

Outre les dépositions, le juge Trévidic a fait déclassifier plusieurs notes «secret défense». Certaines étayent les allégations de dissimulation, non seulement de la part des autorités algériennes, mais aussi de la part des autorités françaises. Un document signé de l’ambassadeur de France à Alger résumant l’ensemble des constatations médico-légales réalisées sur les têtes des victimes, censée se baser sur le rapport d’autopsie réalisé par le médecin-gendarme de l’ambassade, pose problème. Le médecin en question a affirmé au juge n’avoir jamais réalisé d’autopsie, n’ayant aucune compétence en médecine légale. Les enquêteurs n’excluent pas que l’ambassadeur a simplement recopié les conclusions de l’autopsie réalisée par les autorités algériennes, dont les conclusions allaient dans le sens de la version officielle.

Et maintenant?

Le juge Trévidic a adressé une commission rogatoire à Alger en décembre 2011 pour pouvoir se rendre sur place, auditionner une vingtaine de témoins clés de l’affaire, exhumer les crânes des défunts et les faire autopsier sur place par des experts français. Sans réponse. Les familles des moines ont à nouveau écrit à François Hollande au mois de juin, l'exhortant à «lever les entraves» posées par les autorités algériennes. Mais le sujet est toujours délicat: la coopération entre les services secrets des deux pays est toujours recherchée par Paris, l’Algérie étant un partenaire de premier ordre tant pour l’intervention français au Mali que pour négocier la libération des otages français actuellement retenus au Sahel.