MONDETurquie: La contestation renforcée par la répression

Turquie: La contestation renforcée par la répression

MONDELa violente répression policière de mardi sur la place Taksim, à Istanbul, n'a pas entamé la détermination des manifestants...
Un manifestant sur la place Taksim, à Istanbul, dans la nuit du 11 juin 2013.
Un manifestant sur la place Taksim, à Istanbul, dans la nuit du 11 juin 2013. - AGF s.r.l. / Rex Featur/REX/SIPA
Audrey Chauvet

Audrey Chauvet

«Le pouvoir est en train de préparer sa propre fin.» Le scénario semble tout écrit pour le cinéaste turc Nuri Bilge Ceylan. Le début de l’histoire: une simple manifestation contre un projet de destruction d’un parc au cœur d’Istanbul. Puis l’effet boule de neige: des milliers de personnes qui se joignent au mouvement, protestant contre la dérive autoritaire du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan et envahissant chaque soir la place Taksim, à Istanbul, depuis une douzaine de jours. Face à l’inflexibilité du gouvernement et à la répression policière de plus en plus violente, les manifestants ne semblent toutefois pas prêts à baisser le rideau.

«La journée de mardi a été une claque, témoigne Samuel Forey, journaliste français qui était présent sur la place Taksim. Les policiers sont intervenus de manière extrêmement virulente. Même sur la place Tahrir, pendant la révolution égyptienne, je n’avais jamais vu autant de gaz lacrymogènes lancés sur une foule aussi nombreuse.» A trois reprises dans la journée, les forces de l’ordre ont en effet tenté de disperser les milliers de personnes réunies sur la place. Mais si les canons à eau et les lacrymos ont eu ponctuellement raison des manifestants, la mobilisation est loin d’être entamée et a même été renforcée par l’indignation face à la violence de la police: «La colère n’est pas retombée, au contraire», estime Samuel Forey.

Stratégie de division

«Une telle répression à la veille d’une négociation a choqué», confirme Elise Massicard, responsable de l'Observatoire de la vie politique turque à l'Institut français d'études anatoliennes. Ce mercredi doit en effet se tenir la première rencontre entre Recep Tayyip Erdogan et des représentants de la contestation. Des représentants semble-t-il soigneusement choisis: «On ne sait pas encore exactement qui va participer à cette rencontre, poursuit Elise Massicard. Certains participants prévus ont décidé de se retirer. La légitimité et la représentativité de la délégation risque d’être contestée.» Pour la chercheuse, le gouvernement mène une stratégie de dé-légitimation et de division du mouvement: «L’image que veut donner le gouvernement est celle d’un mouvement manipulé par quelques groupes extrémistes qui ne veulent rien entendre.» Une tactique qui peut s’avérer payante à court terme, selon elle: «La mobilisation peut se poursuivre, d’autant plus que l’AKP a prévu des manifestations massives ce week-end qui risquent d’accroître la tension».

Face à l’intransigeance d’Erdogan, qui a déclaré mardi qu’il n’aurait plus «aucune tolérance» envers les manifestants, la contestation risque donc elle aussi de se durcir. D’autant plus que le Premier ministre s’illustre encore une fois dans l’autoritarisme qui est lui reproché: «Alors qu’en Egypte les manifestants voulaient faire tomber un dictateur pour accéder à la démocratie, les Turcs qui manifestent veulent au contraire sauver la démocratie contre la dérive autoritariste d’Erdogan», explique Samuel Forey. S’il est peu probable que les négociations de mercredi calment le jeu, le week-end, qui devrait amener des milliers de personnes sur les lieux de manifestations à travers le pays, sera déterminant pour la suite du mouvement.