Allemagne: une justice bien tardive pour les criminels nazis

Allemagne: une justice bien tardive pour les criminels nazis

L'arrestation cette semaine en Allemagne d'un nonagénaire soupçonné de complicité de meurtres dans le camp de concentration d'Auschwitz, où il aurait été gardien, a rouvert un débat sur le sens d'une justice aussi tardive.
© 2013 AFP

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L'arrestation cette semaine en Allemagne d'un nonagénaire soupçonné de complicité de meurtres dans le camp de concentration d'Auschwitz, où il aurait été gardien, a rouvert un débat sur le sens d'une justice aussi tardive.

Des associations de survivants de l'holocauste et historiens ont salué ce soucis de poursuivre les derniers criminels de guerre en vie, mais d'autres voix ont mis en doute l'intérêt de faire comparaître des personnes âgées et diminuées.

La police allemande a interpellé lundi Hans Lipschis, 93 ans. Un médecin a jugé apte à la détention ce vieillard, numéro 4 sur la liste des criminels les plus recherchés du Centre Simon Wiesenthal.

Veuf, né en Lituanie, il vivait depuis une trentaine d'années à Aalen, dans le sud-ouest de l'Allemagne.

Environ 70 ans après les faits, la justice allemande a préféré ne pas le laisser en liberté, évoquant un risque de fuite.

Le Parquet de Stuttgart le «soupçonne fortement» d'avoir été gardien dans le camp de concentration nazi d'Auschwitz, dans l'actuelle Pologne, de 1941 à 1945. Lipschis prétend y avoir travaillé comme cuisinier.

La condamnation à cinq ans de prison en mai 2011 de John Demjanjuk, un apatride d'origine ukrainienne, également âgé de 93 ans, pour participation à des meurtres de Juifs quand il était gardien dans un camp de concentration, a marqué un changement d'attitude de la justice allemande. Elle a considéré que sa fonction dans le camp faisait de lui un complice des meurtres commis, même sans preuves d'acte criminel.

L'Office de Ludwigsburg, qui gère les dossiers du nazisme depuis 1958, avait indiqué début avril vouloir entamer une procédure contre 50 anciens gardiens d'Auschwitz-Birkenau à travers le pays, âgés d'environ 90 ans.

Depuis le procès des principaux dirigeants nazis à Nuremberg en 1945 et 1946, 106.000 soldats allemands ou nazis ont été accusés de crimes de guerre. Environ 13.000 ont été jugés et la moitié condamnés, a indiqué Ludwigsburg.

Le Comité international d'Auschwitz, qui représente les survivants du camp, a jugé les poursuites contre Lipschis «tardives, mais pas trop tardives».

Le Centre Simon Wiesenthal a qualifié l'arrestation de «premier geste bienvenu vers ce que nous espérons être une large série de mesures» contre les éventuels criminels encore en liberté.

Wolfgang Benz, l'un des meilleurs connaisseurs de l'Holocauste et ancien directeur du Centre de recherche sur l'antisémitisme de Berlin, a confié à l'AFP que lui aussi attendait de l'Allemagne «en tant qu'État de droit, qu'elle amène devant les tribunaux tous les cas de meurtres, quel que soit l'âge de l'homme ou ce qu'il a fait ces 50 dernières années».

«Pendant longtemps on n'a pas assez sérieusement cherché à juger les anciens nazis pour leurs crimes», a déclaré à l'AFP l'historien Albrecht Kirschner, qui dirige une commission mise en place par le ministère de la Justice pour étudier son passé sous le nazisme.

Selon lui, la volonté de la génération d'après-guerre de tirer un trait sur cette période, et la présence importante d'anciens nazis dans l'appareil judiciaire, a permis à des milliers de suspects de ne pas être inquiétés.

Mais le quotidien Stuttgarter Zeitung a exprimé son «malaise» face à ce nonagénaire questionné sur un passé lointain.

«C'est un bien piètre service rendu à la justice que de traîner des vieillards, peu de temps avant leur mort, devant des tribunaux», a-t-il jugé mardi.

Même le célèbre «chasseur de nazis» français Serge Klarsfeld, vice-président de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, a reconnu être «partagé entre (sa) conception de la justice et la nécessité de poursuivre les criminels de guerre jusqu'à leur dernier souffle».

Mais pour M. Benz, c'est la probité chèrement acquise de l'Allemagne d'après-guerre qui est en jeu.

«Si on ne fait que construire des monuments et tenir de jolis discours, et qu'on laisse les meurtriers d'Auschwitz en liberté, notre volonté de nous confronter à notre passé n'aura aucune crédibilité», a-t-il assuré.

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