Otage français au Mali: «Il ne sera pas possible de le retrouver»
INTERVIEW•Philippe Hugon, directeur de recherche à l'Iris, en charge de l'Afrique, analyse pour «20 Minutes» le contexte de ce nouvel enlèvement...Propos recueillis par Corentin Chauvel
Le Mouvement pour l'unicité et le djihad en Afrique de l'Ouest (Mujao), un groupe armé islamiste, a revendiqué la prise en otage du Français de 61 ans, enlevé mardi soir, près de Kayes, au Mali. Philippe Hugon, directeur de recherche à l’Iris, en charge de l’Afrique, analyse pour 20 Minutes le contexte de cet enlèvement qui intervient alors que la situation au Mali est toujours aussi complexe et tendue.
Que sait-on du Mujao?
C’est un mouvement très proche d’Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi), qui a déjà participé à des prises d’otage. Il est composé principalement de membres non-maliens, issus d’autres pays du Sahel, ou d’autres mouvements islamistes comme Boko Haram (Nigeria). Leur financement passe par des activités criminelles, notamment le contrôle du trafic de drogue.
La France est-elle confrontée à une prise d’otage similaire à celle d’Aqmi?
Il est toujours très difficile de savoir ce qu’il en est. Il y a des connivences entre le Mujao et Aqmi, mais ce dernier mouvement agit dans un champ idéologique et politique, revendiquant la création d’un califat, des modifications de lois, comme sur la burqa, ou le retrait des troupes françaises en Afghanistan. Le Mujao est plus dans l’économie criminelle. Cependant, les deux mouvements sont complémentaires et l’otage français sera peut-être remis à Aqmi. Ce qui est certain, c’est qu’il ne sera pas possible de le retrouver car les intermédiaires sont constamment en train de changer. Je pense que cet otage va changer de lieu et être pris dans différentes mouvances.
Quelle est la situation actuelle au Mali?
Il y a une stratégie de la communauté internationale qui consiste à séparer les touaregs d’Ansar Dine (Défenseurs de l'islam) et du Mouvement national pour la libération de l'Azawad (MNLA) des autres mouvances islamistes non-maliennes que sont Aqmi et le Mujao. Nous allons peut-être vers une alliance entre les deux premiers, en utilisant les liens d’Ansar Dine avec l’Algérie, car le MNLA, qui se bat contre les mouvements islamistes, est aujourd’hui affaibli militairement. De son côté, le gouvernement malien a peu de légitimité car il n’y a pas eu d’élections pour le mettre en place et l’armée est en totale décomposition. Le Mali n’est pas capable aujourd’hui de négocier ou d’entreprendre la moindre action militaire.
Qu’en est-il de l’intervention d’une force internationale? Est-elle nécessaire?
Le problème d’une non-intervention, c’est que cette zone du Nord-Mali reste sans contrôle et qu’elle s’étende au-delà du pays. En même temps, une intervention militaire est très périlleuse. Les forces de l’Union africaine ne sont pas aguerries à ce terrain et l’aide française et américaine sera seulement logistique. C’est excessivement risqué et, avec ce genre d’opération, on sait comment ça commence, mais jamais comment ça finit. On risque l’enlisement et on ne sait pas où vont aller ensuite les ressortissants des mouvances islamistes. Autrement, des frappes ciblées sur des leaders pourraient réduire le pouvoir nocif de ces groupes. Mais ce qui est donc souhaitable, c’est une négociation politique et c’est ce que veut l’Algérie, qui partage 2.000 kilomètres de frontière commune avec le Mali.