REPORTAGELibye: Misrata la rebelle renaît de ses cendres

Libye: Misrata la rebelle renaît de ses cendres

REPORTAGELa ville-symbole du soulèvement contre Kadhafi se reconstruit lentement, mais vit toujours sous tension, craignant une tentative de retour en force des kadhafistes, dont l'ancien bastion se trouve à seulement 140 kilomètres, à Bani Walid...
Bérénice Dubuc (à Misrata)

Bérénice Dubuc (à Misrata)

De notre envoyée spéciale à Tripoli (Libye)

Des bâtiments effondrés, des immeubles éventrés par les tirs d’obus, des murs grêlés d’impacts de balles. La principale artère de Misrata, Tripoli street, garde encore les traces, plus d’un an après, de la violence des combats dont elle a été témoin. Cette ville de 300.000 habitants, située à un peu plus de 200 kilomètres à l’est de la capitale, Tripoli, a en effet subi les assauts des combattants loyalistes, qui l’ont assiégée entre mars et août 2011. Mais, si Misrata porte encore les stigmates de la bataille qui a fait rage dans ses rues, l’heure est bien à la reconstruction.

A l’entrée ouest de la ville, sur le bas-côté, des chars calcinés qui ont été dégagés des rues après la fin du siège observent les passants. Plus loin, les ruines du marché principal de Misrata, le «fruit and vegetable market», où les troupes loyalistes étaient stationnées pendant la révolution. De cette position militaire, il ne reste plus que quelques chars calcinés, et un immense trou dans le toit des grandes halles, fait par un obus de l’Otan.

Le lieu doit être rasé et un projet immobilier doit voir le jour, mais les travaux ne commenceront pas avant au moins un an. Alors les propriétaires des petites échoppes qui entouraient le marché avant les événements commencent à reconstruire, comme ce petit vendeur de noix. Les travaux effectués par les petits propriétaires ont commencé depuis environ huit mois. Mais, si l’on peut déjà observer des avancées, la reconstruction sera longue, les particuliers et l’Etat ayant du mal à s’accorder sur les montants à allouer pour reconstruire maisons et magasins.

Lisco, «la mère de Misrata»

Tout à côté de l'ancien marché, entre deux immeubles pris pour cible par les rebelles pendant la guerre pour en déloger les snipers kadhafistes, un petit mémorial a ouvert en août 2011. A l’extérieur, des armes, des chars, des lance-roquettes, collectés après la fin des combats. A l’intérieur, après s’être essuyé les pieds sur le paillasson à l’effigie de l’ancien «Guide» libyen, plusieurs personnes observent sur les murs les nombreuses photos d’hommes, de femmes et d’enfants de Misrata tués lors de la guerre. Au fond de cette salle au bas plafond, les visages de ceux qui ont disparu lors des combats mais qui n’ont toujours pas été retrouvés regardent fixement des vidéos des combats qui ont fait rage dans les rues de la ville, filmées par les rebelles, cameramen improvisés qui ont immortalisé ces scènes à l’aide de smartphones.

Dans cette ville-symbole du soulèvement contre Kadhafi, les particuliers n’ont pas été les seuls à jouer un rôle particulier. Ainsi, les entreprises, même d’Etat, comme la Libya Iron and Steel Company (Lisco) ont apporté leur pierre à l’édifice pour renverser le régime. Bombardée par les forces kadhafistes car elle approvisionnait Misrata en acier (notamment pour les armes) et en électricité, l’aciérie était ainsi surnommée durant la guerre «la mère de Misrata» par ses habitants.

L’usine, plus gros employeur de Misrata, a été relancée en janvier 2012, sous la pression de ses 6.500 salariés, qui voyaient dans ce redémarrage un moyen de gagner de l’argent, donc de reconstruire plus vite la ville pilonnée pendant plus de quatre mois par l’ancien régime. L’aciérie est aujourd’hui revenue à 50% de sa production d’avant-guerre, et ses dirigeants escomptent atteindre les 100% d’ici la fin de l’année 2012. Côté salaires, tous les employés ont vu leur traitement augmenter de 25% depuis la fin de la révolution.

Regain de tensions

Cependant, si le siège de la ville est déjà loin et qu’elle commence à se reconstruire, les Misratais vivent toujours sous tension. Dans ce pays où la rumeur invérifiée et invérifiable court plus vite que partout ailleurs, nombreux sont ceux qui craignent une tentative de retour en force des kadhafistes, dont l’ancien bastion se trouve à seulement 140 kilomètres, à Bani Walid. Parmi les rumeurs les plus folles, la mort déguisée de Khamis Kadhafi (lien tué OTAN) , qui se cacherait à Bani Walid pour préparer le retour des kadhafistes.

Preuve de la tension qui règne entre les deux villes, un checkpoint a de nouveau été mis en place à l’entrée de Misrata, ses habitants craignant ceux de l’ancien bastion des partisans de Kadhafi. Principale cause de cette inquiétude: la mort d’Omran Chaban, le rebelle misratais qui avait retrouvé Mouammar Kadhafi dans une canalisation à la périphérie de Syrte. Enlevé en juillet non loin de Bani Walid, il a été torturé et est décédé fin septembre de ses blessures peu après sa libération. Les responsables de la ville avaient jusqu'à ce vendredi pour livrer ses ravisseurs, au risque de voir les milices opérant avec l'aval du ministère de la Défense attaquer la ville.