Les femmes libyennes se font aussi entendre
MONDE•Alors qu'elles étaient elles aussi privées de droits et de voix sous le régime de Mouammar Kadhafi, les femmes libyennes sont aujourd'hui présentes dans tous les secteurs de la société...Bérénice Dubuc (à Tripoli)
De notre envoyée spéciale à Tripoli (Libye)
C’est un signe. Alors que la loi requérait à l’origine 10% de femmes au sein du nouveau Congrès général national, au terme de l’élection, 33 femmes ont été élues sur 200 députés, soit 16,5% du CGN. «Si on leur laisse toute la place, les hommes vont nous écraser. Il fallait qu’il y ait des femmes au Congrès», affirme Souad Mohamed Sultan, élue de l’Alliance des forces nationales (AFN). Le message a été entendu: sur 39 élus de l’AFN, 24 sont des femmes.
«Les femmes libyennes ont participé à la Révolution, elles ont beaucoup donné, aidé les rebelles, sacrifié leurs fils, aujourd’hui, elles doivent participer à la reconstruction du pays», explique encore l’élue. Et cela passe forcément par une implication politique. «Nous nous sommes présentées à l’élection du 7 juillet pour que les femmes aussi soient présentes à l’assemblée du peuple, pour que leur voix soit entendue», détaille le Dr Hana Al Orfi, une autre élue de l’ANF. «Nous avons un avis différent de celui des hommes. En étant qu’élues, nous pouvons nous aussi laisser notre trace», renchérit Najia Bieeu, elle aussi élue de l’ANF.
«Il est important que les femmes donnent leur point de vue»
De là à voir une femme présidente de groupe parlementaire ou même Premier ministre, il n’y a qu’un pas encore difficile à franchir. Le président du groupe parlementaire de l’AFN au Congrès est en effet un homme, Ibrahim Al Gariani, et, pour le moment, ses collègues féminines sont «satisfaites» ainsi. Selon elles, l’homme sait guider le groupe comme il faut. Malgré tout, la femme libyenne est bien en train de trouver sa place en politique, soulignent-elles avant de préciser que certaines ont pris la tête de commissions parlementaires. Est-ce suffisant? Oui, car à leurs yeux, «ce n’est pas parce que c’est un homme qui est à la tête du Congrès ou du gouvernement qu’il est mieux que les femmes!»
Au sein du parti de la Justice et de la Reconstruction (PJR), émanation politique des Frères musulmans, les femmes sont également présentes (7 sur 17 élus). «Il est important que les femmes donnent leur point de vue, explique Abdulrahman Dybani, le président du groupe parlementaire du PJR. Cela fait partie de notre culture: Khadija, la première épouse du Prophète Mahomet était une businesswoman, et Aïcha, sa troisième épouse, donnait des cours et a rapporté de nombreux hadiths.» Une tradition que les Libyennes entendent bien perpétuer. Dans cette nouvelle Libye en construction, les femmes sont partout.
«Nous ferons tout pour que les femmes soient présentes partout»
Comme le dit Najat Muftar Al Jerah, du comité des femmes de Misrata, «la grande différence par rapport à l’ancien régime, c’est la liberté. Avant, toutes les portes étaient fermées et il y avait toujours quelqu’un pour nous dire quoi faire.» Zahra Ajhani est ainsi membre et porte-parole de l’Organisation internationale des droits des femmes. Ses objectifs: dénoncer les violences faites aux femmes via des conférences, développer leurs projets (notamment en matière économique), soutenir psychologiquement et financièrement celles qui ont été touchées par la guerre, les inciter à exercer leur devoir civique, voire à se présenter aux élections…
«Nous ferons tout pour que les femmes soient présentes partout», promet Zahra Ajhani. «Il n’y a pas encore beaucoup de changements visibles, mais nous avons déjà obtenu la liberté -d’expression, de création de projets. Nous avons beaucoup d’ambitions pour que les femmes participent à la reconstruction de la Libye.» Pour sa part, elle a développé sa propre affaire de production et de vente d’objets ornementaux. L’idée lui est venue en 1997, mais, avec les lenteurs de l’ancien régime, elle a dû attendre 2003 pour lancer sa petite entreprise.
«Avant j’étais femme au foyer, et j’avais des idées plein la tête, mais je ne pouvais pas les réaliser facilement. Grâce à l’association, j’ai été formée par des femmes d’affaires venues de Jordanie.» Et, grâce aux liens que l’association a tissés avec le ministère de l’Economie après la Révolution, elle a pu faire évoluer son affaire, et même participer à la Foire de Tripoli en août 2011. Elle envisage aujourd’hui de former d’autres femmes pour développer son entreprise.