REPORTAGELibye: Bab al-Azizia, refuge des naufragés de la Révolution

Libye: Bab al-Azizia, refuge des naufragés de la Révolution

REPORTAGECertains Libyens, ostracisés pour avoir soutenu les forces kadhafistes pendant la Révolution, ou trop pauvres pour s'établir ailleurs, vivent dans les ruines de l'ancien «QG» de Kadhafi aux portes de tripoli...
Bérénice Dubuc (à Tripoli)

Bérénice Dubuc (à Tripoli)

De notre envoyée spéciale à Tripoli (Libye)

Des ruines à perte de vue. Bab al-Azizia, véritable ville dans la ville de quelque 6 km² , qui abritait la résidence de Mouammar Kadhafi et de ses proches aux portes de Tripoli, n’est plus qu’un immense champ de gravats, où subsistent quelques vestiges de l’ancien régime. Les rares murs encore debout ont été tagués, les sols auparavant recouverts de marbre démontés, les pièces de l’une des demeures de l’ancien Guide de la Libye incendiés, et partout, des ordures à l’odeur rendue pestilentielle par la chaleur envahissent l’ancienne caserne fortifiée.

Aujourd’hui, ce champ de ruines n’abrite plus que quelques naufragés de la Révolution du 17-Février. Certains sont des réfugiés ostracisés pour avoir soutenu les forces kadhafistes, d’autres sont trop pauvres pour vivre ailleurs. Parmi eux, Mouna Mohamed, originaire de Sebha, dans le sud du pays. La jeune femme a trouvé refuge ici depuis octobre 2011, et est contrainte d’y rester même si elle ne s’y sent pas en sécurité, faute de moyens. «Mon mari est mécanicien. Nous n’avons pas assez de revenus pour payer un logement dans Tripoli, alors nous nous sommes installés là», raconte-t-elle, les larmes aux yeux, assise dans la petite pièce où le couple vit avec ses deux enfants en bas âge.

«Socialement, rien n’a changé»

Le bâtiment a été en partie détruit, mais son mari a consolidé les murs avec quelques parpaings. Derrière la porte en ferraille de fortune, une pièce carrelée d’une vingtaine de mètres carrés où sont entassés les maigres biens de la famille. Une télévision que personne ne regarde est allumée dans un coin, un ventilateur tourne en continu. Avantage en Libye: presque personne ne paye l’électricité, les compteurs se comptant sur les doigts de la main. A l’extérieur, la fille de Mouna, qui n’a pas plus de 3 ans, joue dans la poussière, avec vue sur les ordures.

La jeune femme, qui dissimule ses cheveux sous un léger voile vert et tient dans ses bras son nouveau-né, explique d’une petite voix que personne ne lui vient en aide. «Des gens sont venus, ils m’ont promis beaucoup de choses, mais il n’y a rien eu derrière.» Depuis janvier 2012, le gouvernement distribue 200 dinars libyens (123 euros) aux familles dans le besoin. Un petit pécule qui pourrait aider Mouna et sa famille, mais dont elle n’a pas encore bénéficié. «Il y a une liste, je dois attendre.» Selon elle, elle ne fait pas partie des priorités du gouvernement parce que son mari est égyptien. «Socialement, rien n’a changé par rapport à avant la Révolution. Les gens d’ici n’acceptent toujours pas qu’une Libyenne soit mariée à un étranger.»

Selon un élu, environ un million d’habitations doivent être construites à Tripoli. De nombreux sites sont d’ailleurs en chantier, certains immeubles parfois presque terminés. Mais, avec la Révolution, les entreprises étrangères qui réalisaient ces travaux ont quitté le pays, et ne sont toujours pas revenues du fait de l’instabilité politique et sécuritaire.