A Janzour, les réfugiés de Tawarga attendent eux aussi une nouvelle Libye, sans espoir
REPORTAGE•Malheur aux vaincus. Accusés d'avoir soutenu les forces kadhafistes lors du siège de la ville voisine de Misrata, les habitants de Tawarga ont aujourd'hui interdiction de revenir dans leur ville natale, détruite par les rebelles Misratais...Bérénice Dubuc (à Tripoli)
De notre envoyée spéciale à Tripoli (Libye)
Des enfants qui jouent devant des bâtiments, surveillés par des femmes qui remplissent des jerricans d’eau et quelques hommes désœuvrés qui s’abritent du soleil brûlant. Les anciens bâtiments de l’Académie navale nationale de Janzour, à une vingtaine de kilomètres du centre de Tripoli, n’accueillent plus de marins, mais sont désormais le refuge de quelque 410 familles, soit 2.000 personnes environ, dont nombre de femmes et d’enfants.
Tous viennent de Tawarga, ville située à une quarantaine de kilomètres au sud de Misrata dont la population quasi-exclusivement noire descend d'anciens esclaves. Les réfugiés de Janzour ont été chassés de Tawarga par les milices de Misrata après la révolution, des membres de la communauté s’étant enrôlés dans les forces kadhafistes participant au siège de Misrata entre mars et août 2011. En représailles, Tawarga a été assiégée et bombardée par les rebelles après qu’ils ont repoussé les attaques des troupes loyalistes.
«Nous ne devrions pas payer pour quelques personnes»
En août 2011, plusieurs groupes ont réussi à fuir la ville et se sont dirigés vers Tripoli «pour être plus en sécurité». «Nous avons tout laissé derrière nous, car nous pensions pouvoir revenir dans notre ville natale», raconte un autre habitant du camp de Janzour, Omar Mobarek, qui a perdu sa mère lors de cet exode forcé. Rejetés de toutes parts, certains se sont établis dans un camp près de la route qui mène à l’aéroport de Tripoli. Mais en septembre 2011, ils ont été attaqués par des miliciens et plusieurs dizaines d’hommes de 14 à 60 ans ont été emmenés. «Certains corps nous ont été renvoyés, probablement morts après avoir été battus et torturés. Nous ne savons toujous pas ce que sont devenus les autres», raconte Ali Mohamed, l’un des représentants de la communauté.
«Ce sont les rebelles de Benghazi qui ont conduit ici ceux qui restaient et ont protégé le camp pendant un temps», continue-t-il. Mais, une fois les rebelles de Benghazi partis, les milices de Misrata sont de nouveau venus les intimider. En février 2012, sept personnes ont été tuées. «L’armée n’a pas su nous protéger.» Et, il y a quelques jours, «les miliciens sont venus et ont emmené trois jeunes hommes, raconte encore Ali Mohamed. On ne se sent pas en sécurité ici.» Dans la pièce qui sert de mémorial à la communauté, ce grand homme noir en djellaba ivoire montre des photos de «la vie d’avant» à Tawarga, mais aussi des images de l’exode et des bâtiments détruits de la ville aujourd’hui fantôme. «Seuls certains jeunes de Tawarga se sont battus aux côtés des soldats de Kadhafi et ont assiégé Misrata, mais tout Tawarga n’était pas pro-Kadhafi. Nous ne devrions pas payer pour les quelques personnes qui ont combattu à Misrata», s’insurge Ali Mohamed.
«Nous n’avons plus d’espoir»
Car, à Janzour, les réfugiés de Tawarga ne survivent que grâce aux ONG, qui leur fournissent eau, nourriture et vêtements. Dans une pièce d'une dizaine de mètres carrés ou s'entassent deux familles, c’est-à-dire une dizaine de personnes, Nouredine Ramdan raconte sa peur de voir débarquer à nouveau les miliciens. «Le gouvernement ne contrôle rien. Les milices sont incontrôlables. Le camp n’est pas protégé par l’Etat. Nous sommes piégés ici.» Assis sur des nattes jetées à même le sol, il raconte aussi ses journées sans but. «Ce n’est pas une vie, il n’y a rien à faire ici, à part attendre.» Attendre quoi? «Que cela change, mais nous n’avons plus d’espoir.»
Assise dans un autre coin de la pièce, son bébé dans les bras, Jamila Shipani se dit pour sa part «frustrée». «Ici, on ne fait qu’attendre. Même si la situation ici n’est pas si mauvaise, je veux rentrer chez moi, à Tawarga, ma ville natale.» Alors elle s’occupe de ses enfants et attend. Mais même cela s’avère compliqué: l’un de ses fils a reçu une balle dans la jambe, mais les hôpitaux où ils sont allés ont refusé de le soigner. «Ils nous ont dit: “Vous êtes de Tawarga, on ne peut pas vous soigner.“» «Le gouvernement ne s’occupe pas de nous et, alors que nous avons reçu plusieurs médias étrangers, les médias libyens ne sont jamais venus», regrette Ali Mohamed.
En effet, malheur aux vaincus. Aux yeux des Misratais, les habitants de Tawarga ont commis les pires horreurs pendant le siège -vol, viols et meurtres- et ne récoltent aujourd’hui que ce qu’ils ont semé. «Ils ne savent pas ce que c’est que d’avoir de la miséricorde», s’exclame Ismaël, un habitant de la troisième ville du pays qui a combattu pendant la révolution et qui est persuadé que tous les habitants de Tawarga ont joué un rôle dans les souffrances endurées par Misrata. «Les Libyens ont aujourd’hui la possibilité de construire un nouveau pays, mais ils n’ont pas appris de l’histoire, ils se combattent toujours les uns les autres», regrette Ali Mohamed. Moins d'un an après la mort de Kadhafi, il est sans doute encore trop tôt pour parler de réconciliation nationale.