INTERVIEW EXCLUSIVE«Chaque semaine perdue fait le jeu des terroristes»

«Chaque semaine perdue fait le jeu des terroristes»

INTERVIEW EXCLUSIVELe ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian détaille la position française sur le Nord-Mali...
Propos recueillis par Alexandre Sulzer

Propos recueillis par Alexandre Sulzer

Aux Nations Unies, la France s’est dite prête à soutenir une force armée africaine qui combatte les groupes islamistes qui dominent le Nord-Mali depuis le mois d’avril. En exclusivité pour 20 Minutes, le ministre de la Défense détaille la position française.

Pourquoi la France veut-elle agir au plus vite sur le dossier malien?

Défendre l’intégrité territoriale du Mali, c’est défendre la sécurité de l’Europe. Depuis plusieurs mois, des groupes de djihadistes - Mujao, Ansar Dine, Aqmi, Boko Haram – profitent d’une forme de déshérence de l’Etat malien pour progresser vers le Sud. Et pour établir une zone qui est en train de devenir un sanctuaire terroriste. Cette situation ne peut plus durer. Il faut agir vite: chaque semaine perdue fait le jeu des terroristes.

Vous parlez de «sanctuaire terroriste». Avez-vous des informations sur des menaces?

D’abord, ils ont des otages. Ensuite, les menaces proférées par ces groupes portent sur l’Europe. Enfin, si j’avais d’autres renseignements, je ne vous le dirais pas.

Cette position offensive ne renforce-t-elle pas le risque terroriste en France?

Laisser les choses en l’état plus longtemps n’est pas acceptable pour notre sécurité. Mais ce sont les Africains, avec la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), et éventuellement l’Union africaine, qui doivent appuyer l’armée malienne dans sa reconquête. La France, elle, est en soutien. C’est-à-dire l’accompagnement de l’organisation, l’expertise, la formation, la logistique. A ce stade, nous n’envisageons pas de combattre au sol. Lors de la réunion des ministres européens de la Défense la semaine dernière, il a été convenu que l’Union européenne fera le 15 octobre des propositions de participation de l’Europe à cette stratégie. Il y a donc un soutien européen à la démarche.

La France participera-t-elle au renseignement?

Cela fait partie de la logistique…

La France fournira-t-elle des armes?

J’attends très clairement que l’UE fasse des propositions d’organisation et de soutien. J’attends aussi que la Cédéao nous dise comment elle compte intervenir en appui de l’armée malienne.

La France a-t-elle les moyens budgétaires pour assurer de telles missions?

Ce n’est pas une opération de type Afghanistan. Les montants se justifient par l’importance du sujet.

La France n’agira-t-elle que sous mandat onusien?

Le président Hollande a obtenu mercredi dernier le soutien de la communauté internationale à cette intervention. La France n’agira que sous mandat de l’Onu, qu’avec l’accord du Mali et qu’en accompagnement d’une initiative militaire africaine.

Des informations de presse font état de la présence de Français au sein de ces groupes djihadistes au Nord-Mali. Confirmez-vous?

Je ne peux rien dire. Mais si on laisse les choses en l’état, une filière d’entraînement et de formation au terrorisme va se créer.

Cette zone sahélienne est-t-elle désormais un danger plus élevé que l’Afghanistan?

La grande différence avec l’Afghanistan, c’est que le Sahel se trouve à 1.200 km du Sud de l’Europe. Quand nous sommes intervenus en Afghanistan en 2001, c’était au lendemain des attaques du 11 septembre. N’attendons pas qu’un tel drame se reproduise pour agir.

Le Premier ministre malien assure que les groupes armés disposent d’«armes sophistiqués». Avez-vous des informations?

Ils bénéficient notamment d’armes issues de la Libye. Quant à l’hypothèse selon laquelle ils auraient des missiles sol-air, elle n’est pas pour l’instant vérifiée.

La France peut-elle mettre à disposition des avions, comme des Mirage qu’a demandés le Premier ministre malien?

Dans l’état actuel des choses, cette question ne se pose pas. Nous n’en sommes pas encore à la définition des plans d’intervention. Nous en sommes à la définition d’une procédure qui doit aboutir à une décision des Nations Unies.

Le mandat de cette force doit-elle déborder des frontières maliennes?

Non, le sujet, c’est retrouver l’intégrité du Mali. Chaque Etat de la région a sa propre souveraineté. Il n’est pas envisageable d’y toucher.

Quel pourrait être le rôle de l’Otan dans cette affaire?

Aucun. C’est une affaire européenne.

La presse évoque la présence de forces spéciales françaises dans le secteur. Est-ce vrai?

Je ne commente pas. Mais je rappelle que les forces spéciales ne sont pas les services secrets. Elles ne mènent pas d’interventions clandestines, sont donc visibles et n’interviennent qu’avec l’accord des gouvernements en place.

Un soutien français ne menace-t-il pas la vie des otages français?

Nous prenons toutes les précautions nécessaires à l’égard de la vie des otages. Le président de la République suit le dossier de très près.

Certains acteurs régionaux, comme l’Algérie, semblent vouloir encore privilégier la négociation…

Il n’y a pas, à ma connaissance à ce jour, de position officielle de l’Algérie sur la situation. Si l’Algérie veut accompagner d’une manière ou d’une autre la France et le Mali dans cette volonté de pacification de l’ensemble de la zone, elle sera la bienvenue.

La France veut agir à la demande du gouvernement malien. Mais ce gouvernement de transition est issu d’un coup d’Etat. Cela ne fragilise-t-il pas la position diplomatique de la France?

Le gouvernement malien a sollicité la France, les Nations unies, l’Europe. Les Nations unies ont déjà répondu par une première résolution, la 2056, qui valide la nécessité d’une intervention. Il y a urgence, il faut agir. Les conditions du rétablissement du caractère démocratique du régime malien passent par l’intégrité territoriale malienne.

L’initiative d’une intervention militaire est malienne. Est-ce que, en ce qui concerne le soutien extérieur, la France assure le leadership?

Oui, la France est en responsabilité d’initiative auprès des Européens. C’est une posture qui sera maintenue. La France sera la plus proactive.