PORTRAITTunisie: «Aujourd'hui, les femmes se battent pour préserver des droits acquis»

Tunisie: «Aujourd'hui, les femmes se battent pour préserver des droits acquis»

PORTRAITRencontre avec la cyber-activiste tunisienne Lina Ben Mhenni...
William Molinié

William Molinié

De notre envoyé spécial à Tunis

Son regard brun est sombre mais pétillant. Allure coquette et soignée. Avant de se retrouver dans un café des faubourgs du Nord de Tunis, Lina Ben Mhenni aura indiqué trois lieux de rendez-vous différents. «Ma vie est faite d’imprévus», s’excuse-t-elle par SMS. Elle commande un soda et d’emblée affiche sa détermination. «Pour être une cyber-activiste, il faut d’abord être sur le terrain. C’est trop facile de rester assis derrière son écran.»

A 29 ans, elle est une des figures phares de la révolution tunisienne. Et son nom avait même été cité pour le prix Nobel de la paix en 2011 pour les textes et photos qu’elle a publiés sur son blog, jonglant entre les balles et les gaz lacrymogènes des policiers dans les manifestations pour dénoncer la répression du régime de Ben Ali.

«Ils nous ont volé notre révolution»

Aujourd’hui, Lina continue d’apporter son point de vue sur l’évolution de la société tunisienne, ce qui en fait une opposante férue d’Ennahdha, le parti au pouvoir. «Ils nous ont volé notre révolution, dénonce-t-elle. Quand on l’a faite, c’était pour gagner quelque chose de meilleur. On a réussi à acquerrir la liberté d’expression. Mais on est en train de la perdre.» Le 5 août dernier, elle raconte avoir été victime d’une agression lors d’une manifestation. «Deux policiers en civil que je connaissais sont venus me voir. Ils voulaient prendre ma caméra. J’ai refusé. Puis dix flics me sont tombés dessus et m’ont frappée. J’ai dû aller aux urgences», poursuit-elle.

Selon elle, la condition de la femme a régressé en Tunisie. «Le discours des associations féministes est en train de changer. Avant, elles réclamaient plus de droits. Aujourd’hui, elles agissent pour préserver des droits qui sont déjà acquis.»

Lina ne se cache pas de préparer de «nouveaux coups», à la rentrée universitaire prochaine, pour obliger Ennahdha à quitter le pouvoir dès le 23 octobre prochain, date à laquelle la constitution doit être écrite. «Ils nous disent déjà qu’ils repousseront l’échéance soi-disant parce qu’elle ne sera pas prête. Ils gagnent du temps en plaçant leurs pions dans les administrations.» Et quand on lui fait remarquer qu’Ennahdha a été élue démocratiquement, elle répond, du tac au tac: «Je m’en moque, Ben Ali aussi était considéré comme légitime.»

Une famille de militants

Lina Ben Mhenni, professeur de linguistique, est la fille de Sadok Ben Mhenni, emprisonné entre 1974 et 1980 en tant que militant de gauche opposé à la politique du président Habib Bourguiba. Son frère a été l’un des fondateurs de la branche tunisienne d’Amnesty International. Quant à sa mère, professeur d’arabe, elle faisait partie de l’Union des étudiants.