Comment le glanage s'est fait ubériser ?
PIMP MY TRASH•Le glanage, pratique de plus en plus répandue, est désormais optimisé grâce à la géolocalisation des objets abandonnés…Anne Demoulin
Pour le bobo métropolitain, fouiller les poubelles n’a jamais été aussi hype ! Alors que 38 % des Français ont déjà eu recours au glanage, qui consiste à récupérer des objets déposés ou jetés sur les trottoirs, selon une enquête réalisée par l’Observatoire des consommations émergentes (Obsoco), le détournement des encombrants peut désormais s’exercer grâce à son smatphone, via l’appli française, Ruecup (disponible sur Androïd). 20 Minutes a chiné dans cet immense marché aux puces à ciel ouvert qui lorgne de plus en plus vers le virtuel.
Bobo, rigolo et écolo
L’engouement pour le glanage, la faute la crise ? « Le glanage relève parfois de la nécessité économique, mais c’est loin d’être la majorité des cas », constate Valérie Guillard, maître de conférences en marketing à l’Université Paris-Dauphine et coauteur d’une étude sur le glanage.
Si le glanage reste encore pour certains « une pratique inenvisageable, associée à la saleté et à la pauvreté », le bobo s’y adonne par plaisir « seul ou en famille ». C’est bien plus rigolo de jouer à la chasse au trésor sur les trottoirs d’une immense caverne d’Ali Baba que de faire la queue chez Ikea. Et puis, c’est écolo. «Jouets d'éveil nettoyés et réparés, trouvés avec le lot précédent. Outre le fait de jeter sans réparer (et donc jeter un appareil pouvant encore fonctionner), il y a des piles et des composants électroniques qui vont aux poubelles communes... Usant de bêtise... Tous ces jouets sont en parfait état. Le plastique a la vie longue, songeons à les transmettre avant de les benner par simplicité», écrit ainsi sur Instagram un glaneur.
« Certains donnent aussi au glanage une dimension sociale et redistribuent leurs trouvailles à ceux qui en ont vraiment besoin », constate la chercheuse. A l’instar de l’instagrammeur Glaneur en folie semble avoir fait du glanage un sport de compétition. « Le glanage offre un accès illimité à des choses qu’on n’a pas forcément besoin », note la maître de conférences.
Loin de la grande pauvreté filmée par Agnès Varda dans Les Glaneurs et la Glaneuse, le glanage en « dit long sur la société de consommation ». D’un côté, des « déposeurs » qui ont « trop de choses et qui ont besoin de s’en débarrasser rapidement et efficacement ». De l’autre, des « glaneurs qui trouvent un substitut à l’achat ». « En obtenant des choses gratuites, le glaneur se sent plus malin que le système », note l’experte.
L’uberisation du glanage
Témoin des excès de nos sociétés, le glanage n’échappe pas à l’« uberisation » généralisée. Les techniques du crowdsourcing s’appliquent aussi à la récup. Après le site et l’appli canadienne Trashwag, Ruecup est la première carte interactive française qui permet de géolocaliser les objets abandonnés. « J’ai eu l’idée de l’appli en voyant des glaneurs s’échanger des infos sur les réseaux sociaux », explique Quentin Abrioux, co-créateur de l’appli, dispo sous Android.
« Il suffit de prendre le meuble abandonné en photo, de le classer dans une catégorie et de décrire l’état de l’objet et de poster », poursuit-il. Une notification alerte alors les utilisateurs de l’appli qui se situent dans un rayon de 3 km. Ensuite, premier arrivé, premier servi ! « Les chaises, tables basses, fauteuils, canapés, et autres étagères partent vite », constate Quentin Abrioux. Fini la sérendipité, place à la créativité : « De nombreux utilisateurs donnent des conseils pour retaper les meubles dans la description de la photo », s’amuse le co-créateur de Ruecup. Une chose est sûre, le glaneur est loin d’être un glandeur.