Gastronomie: La soul food séduit l’âme des chefs
RESTAURATION•Cette cuisine afro-américaine du sud des Etats-unis se popularise et se décline en version française...Aude Massiot
On en sort les papilles émoustillées, et le ventre bien rempli. Ouvert le 1er avril dernier, le Mama Jackson réalise la promesse annoncée sur sa devanture. On y mange de la soul food, digne de celle que l’on peut dévorer dans les cantines et restaurants du sud des Etats-Unis. Sauf que l’on est rue de Charenton, dans le 12e arrondissement, à Paris. Depuis peu, cette cuisine méconnue en Europe acquiert ses lettres de noblesse, alors que plusieurs chefs la reprennent à leur compte.
« La soul food est une cuisine inspirée de la soul, le terme qui, dans les années 1950-1960 englobait tout ce qui touchait à la culture afro-américaine, décrit Laura, qui a fondé le restaurant avec son mari Ludovic. Cette cuisine traditionnelle est généreuse, familiale et nourrit bien. »
Lisa avance une assiette remplie des plats symboliques de la maison : curly fries, coleslaw aux choux blancs et rouges, l’irremplaçable Mac’n cheese, les haricots rouges au riz épicé et bien sûr le “fried chicken”, le poulet frit traditionnel bien relevé.
Des clichés bien inscrits dans les esprits
En plus d’être encore méconnue en Europe, outre-Atlantique, la soul food ne bénéficie pas toujours d’une bonne image. « Malheureusement, aux Etats-Unis, les gens ont des appréciations mitigées sur la soul food, explique Adrian Miller, historien culinaire et auteur de “Soul food : l’histoire surprenante d’une cuisine américaine, un plat après l’autre” (University of North Carolina Press, 2013, uniquement en anglais). Certains Afro-Américains la dénigrent en la considérant comme “la cuisine des esclaves” et donc ne serait pas digne d’être célébrée. »
Elle est aussi considérée comme peu saine car assez grasse. Lisa y défend, elle, l’omniprésence des légumes. Patates douces, choux divers, haricots, feuilles de moutarde et de navet sont des ingrédients essentiels de la soul food. « Les esclaves faisaient avec ce qu’ils avaient sous la main », indique la gérante du Mama Jackson. Elle avoue tout de même avoir « adapté la carte aux goûts français, en rendant les plats moins gras ».
Une nouvelle génération s’en empare
Depuis peu et sous l’impulsion de jeunes chefs, cette “cuisine de l’âme” commence à prendre du galon. Plusieurs grands restaurants à Harlem, quartier afro-américain historique de New-York, déclinent les essentiels de la soul food dans leurs assiettes. Aux manettes du plus connu d’entre eux, le Red Rooster, Marcus Samuelsson, chef suédois d’origine éthiopienne, met à la sauce gastronomique cette cuisine à l’origine populaire. Sa revendication : « servir des plats réconfortants célébrant les racines de la cuisine américaine ».
« Have you tried our popular Moroccan BBQ Braised Lamb Shank yet? It's certainly a perfect meal for Easter & Spring. pic.twitter.com/rSRlfAvwNm — Red Rooster Harlem (@RoosterHarlem) 17 mars 2016 »
Récemment, le phénomène est arrivé jusqu’en France. En septembre, le cuisiner pâtissier Rudy Laine et son frère ont lancé leur food-truck New soul food, installé plusieurs jours par semaine sur l’esplanade devant le MK2 Bibliothèque François Mitterrand, avenue d’Italie dans le 13e arrondissement parisien.
A la mode street food, ça marche aussi
Dans un esprit « repas de rue », les deux frères ont mis dans leur cuisine les incontournables de la soul food, avec des touches africaines et antillaises héritées de leurs parents. « Nous avons voulu préserver l’esprit grandes tablées avec une déclinaison de plats, comme dans un buffet, décrit Rudy Laine. Notre but est de sortir de la cuisine traditionnelle africaine très présente en France, et y introduire l’esprit de la soul food. A terme, nous voulons que la “New soul food” devienne un classique. »
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Une photo publiée par @newsoulfood le 19 Avril 2016 à 14h52 PDT
Avec une centaine de couverts par soirée, le week-end, les deux chefs ont de bons espoirs de pouvoir bientôt concrétiser leur projet en ouvrant leur propre restaurant.
Comme eux, Laura et Ludovic, au Mama Jackson, sont étonnés de la rapidité de leur succès. « Nous avons même des Américains qui viennent manger au restaurant. Ils sont fiers de retrouver leur cuisine à la sauce française », se félicite Laura.