TÉMOIGNAGELiquidation de «France Soir»: «Le site Internet ne ressemblait plus au journal»

Liquidation de «France Soir»: «Le site Internet ne ressemblait plus au journal»

TÉMOIGNAGErançois Aubry, journaliste de «France Soir» entre 1968 et 1975, raconte ses sept années dans le quotidien et commente la disparition du titre...
Témoignage édité par Christine Laemmel

Témoignage édité par Christine Laemmel

«Après le soir vient donc la nuit», annonce froidement la dernière tribune de francesoir.fr. Le tribunal de commerce de Paris a tranché et prononcé la liquidation judiciaire du titre lundi 23 juillet. Abandonnée en décembre 2011, la version papier avait laissé les rênes au site Internet, sans succès.

A la fin des années 1960, François Aubry était journaliste chez France Soir. Cette semaine, c’est «un peu triste» qu’il a commenté «la mort du "monstre"». Le retraité de 65 ans, internaute de 20minutes.fr, aujourd’hui expatrié en Thaïlande, nous raconte les années de prospérité, et la «lente agonie» du quotidien.

Le témoignage de François Aubry:

«Je découvre la ruche du 100 rue Réaumur à 21 ans, en plein bouillonnement de 1968. 450 journalistes, dont 150 photographes et une bonne cinquantaine de rédacteurs "en chef" avec des pointures comme Lucien Bodard, Ladislas de Hoyos, sans oublier la Commère, Carmen Tessier.

Six semaines de vacances mais pas le droit à l’erreur

Avec autant de personnel, il nous arrive parfois de faire des semaines de 20 heures… payées 40. D'avoir non seulement le 13e mois mais aussi le 14e, avec quatre semaines de vacances d'été et 15 jours l'hiver. Mais les affaires marchent bien et surtout, on n’a pas le droit à l'erreur. J’ai reçu, une seule fois dans ma vie de journaliste, une lettre recommandée avec accusé de réception. "La somme imprimée dans le texte et celle dans l'encadré avaient une différence de cinquante centimes et vous avez ridiculisé le journal"! Encore deux erreurs comme ça et j'étais viré.

Le bélinographe et les ballons de rouge

C'est le temps de la colle et des ciseaux, du bélinographe (qui permet de transmettre des photographies via une liaison radio), des coups de gueule et des ballons de rouge de la rue Réaumur. L'immeuble entier est vivant, affairé au-dessus d'un monstre de trois étages: la roto. En bas, on n’y va pas trop. Il faudrait être encarté, fils de roto communiste-cégétiste, pour s'y sentir à l'aise.

Le 20 juillet 1969, j’ai 22 ans. La moitié de la planète a l'oreille collée au transistor ou les yeux rivés sur les images en noir et blanc qui nous arrivent de la Lune, via Houston, Texas. Devant moi, posées bien à plat sur le marbre, côte à côte, deux "formes" attendent. L'une étale en capitales gigantesques "ILS ONT REUSSI", l'autre en bas-de-casse funéraires "Ils sont morts". Chacun retient son souffle jusqu'à la célèbre phrase "Un petit pas pour l'Homme, un bond de géant pour l'Humanité". Tirage record, ventes records, souvenir inoubliable d'écrire et d'imprimer une page de notre histoire.

Le site Internet, ça n’était plus "France Soir"

Dans les années 60-70, France Soir était le meilleur. Il préfigurait selon moi, avec une machinerie lourde, la future demande de diversité liée aux communications rapides, voire immédiates aujourd'hui. France Soir, c'était une charte graphique extrêmement précise et très reconnaissable qui n'était plus respectée sur le site Internet selon moi. Ce site, ça n'était plus France SoirFrance Soir, c'était Gabin dans La bête humaine! Aujourd’hui, j’ai le sentiment que les lecteurs ont perdu des habitudes. Les journalistes perdent un boulot. C’est à eux que vont mes pensées de retraité.»