Égalité du temps de parole: Le casse-tête commence pour les radios et télés
MEDIAS•A partir du mardi 20 mars la règle stricte de l'égalité du temps de parole s'applique aux radios et télévisions. Une règle «obsolète» et «anti-journalistique» pour les rédactions qui s'y soumettent à contrecoeur...Annabelle Laurent
C’est le sprint final pour les rédactions. Toutes ont programmé pour aujourd’hui l’un des principaux candidats avant d’être soumis demain à l’égalité stricte du temps de parole.
Depuis le 1er janvier, les médias devaient respecter l’équité du temps de parole, une notion basée sur la représentativité aux dernières élections, les enquêtes d’opinion et «la dynamique» de campagne. Une règle déjà contraignante mais que les chaînes pouvaient interpréter: la colère d’Eva Joly qui aura réclamé sans succès une invitation à «Des Paroles et des Actes» l’a montré.
Désormais les petits candidats peuvent au contraire se frotter les mains. Le Conseil Constitutionnel publie lundi à 17h30 la liste des candidats ayant obtenu leurs 500 parrainages, et dès mardi télévisions et radios devront respecter la stricte égalité entre ces dix ou onze candidats. Concrètement: dès qu’une heure d’émission est consacrée à Nicolas Sarkozy, une heure doit l’être pour chacun des neuf ou dix autres candidats, ou pour l’un de leurs soutiens. Y compris Jacques Cheminade ou Philippe Poutou...
« Des Paroles et Des Actes» et «Parole de Candidat» s’arrêtent
Les médias ont alors deux options. La première est celle qu’a choisie France Télévisions: alors que la campagne bat son plein, arrêter tout net les grandes émissions politiques. Ainsi, après sept éditions de «DPDA», qui a fait un carton d’audience, l’émission disparaît. Trop difficile d’y recevoir la dizaine de candidats. C’est aussi le cas de l’émission phare de TF1, «Parole de Candidat».
A France Télévisions, on respecte la règle sans broncher. C’est du moins le message que souhaite transmettre Anne Grand d’Esnon, directrice des relations institutionnelles à France Télévisions, «Nous suivons les recommandations du CSA sans états d’âme. Il n’y a pas d’angoisse particulière à l’amorce de cette période, qui ne dure après tout que 5 semaines... L’équité nous demande déjà beaucoup de vigilance depuis le 1er janvier!»
«C’est anti-journalistique»
Du côté des chaînes privées, on courbe moins l’échine. Les chaînes choisissent la deuxième option qui s’offre à eux: consacrer un temps égal à tous les candidats.
«J’enfile ma blouse grise d’épicier pendant un mois» lance Jacques Esnous, directeur de la rédaction d’RTL, pour lequel la démarche exigée «les éloigne du journalisme et les rapproche de la comptabilité». «On entre dans un principe d’automatisme qui contredit les principes même du journalisme: réagir en fonction de l’intérêt de l’actualité» poursuit-il.
«Au delà d'être obsolète et dépourvu de sens, c’est anti-journalistique» renchérit Hervé Béroud, le directeur de la rédaction de BFM TV. «Jacques Cheminade ne représente rien dans la vie politique, il n’a pas de parti, pas de mandat, pas de passé, et il va squatter les antennes autant que Nicolas Sarkozy...! C’est une situation loufoque et aberrante» déplore-t-il.
Une programmation sans rapport avec l’actualité de la campagne
D’autant que la programmation s’annonce, d’un point de vue pratique, extrêmement compliquée. Les règles ont été conçues à un moment où il n'existait que sept établissements audiovisuels en France.
Aujourd’hui, avec la multiplication des chaînes et des radios d’info en continu, la programmation des invités politiques s’annonce comme un gigantesque casse-tête. Les agendas de tous les médias et tous les politiques pourront-ils vraiment concorder? Surtout pour les petits candidats, qu’il faudra, plus souvent que les grands, inviter en personne car ils ont moins de soutiens pouvant parler en leur nom.
Tout est donc prévu à l’avance. Les médias publient dès maintenant la liste de leurs invités politiques. Pour l'invité de 7h50 de Jean-Michel Apathie, cinq candidats sont déjà «calés», soupire Jacques Esnous. Sur BFM TV, l’émission d’Olivier Mazerolle se «démultiplie», selon un savant calcul: «Sur les trois dimanche d’ici au 9 avril, on coupe l’émission en deux pour pouvoir inviter deux candidats. Pour pouvoir inviter les quatre ou cinq candidats restants, on crée un nouveau créneau le samedi» explique Hervé Béroud.
Egalité du temps d’antenne, du 9 avril au 6 mai
Le 9 avril, cela se corse encore. Pour les deux dernières semaines avant l’élection, l'égalité sera de mise également pour le temps d'antenne: sera comptabilisé le temps que consacrent les journalistes à parler de tel ou tel candidat, y compris dans les flash infos ou les reportages.
«Dans cette deuxième phase, les journalistes ne peuvent plus faire leur métier» tranche le directeur de la rédaction d’RTL.
Lundi 6 février, les dirigeants de neuf télévisons et radios ont adressé une lettre ouverte à Jean-Louis Debré, président du Conseil constitutionnel, pour exprimer leurs inquiétudes et la volonté d’assouplir cette règle en limitant la période de stricte égalité à deux semaines. Sans succès.