Mort de Ben Laden: Oussama/Obama, un lapsus révélateur?
MÉDIAS•e nombreux journalistes ont confondu les deux personnages...Corentin Chauvel
La mort d’Oussama ben Laden a provoqué ces derniers jours quelques turpitudes parmi les journalistes et commentateurs du monde entier qui se sont parfois laissé aller à confondre, dans leurs annonces, le leader d’Al-Qaida avec le président américain Barack Obama.
Un lapsus made in 2008
C’est sans surprise chez les anglophones, Américains en tête, que la confusion a été la plus remarquée, une seule lettre seulement différenciant Obama d’Osama (l’orthographe d’Oussama en anglais). La chaîne américaine Fox News s’est illustrée par deux fois (par oral, «Le président Obama est mort», et par écrit dans les bandeaux situés en bas de l’écran, «Obama ben Laden est mort»), imitée notamment par MSNBC («Obama s’est enfui au Pakistan»).
Mais il est à noter que la confusion «Obama/Osama» n’est pas neuve. En 2008 déjà, avant même l’élection de l’actuel président des Etats-Unis, des médias américains et même le sénateur démocrate Ted Kennedy s’emmêlaient les pinceaux. NBC News a été jusqu’à diffuser une photo d’Oussama ben Laden alors que le sujet parlait de Barack Obama. Une péripétie parmi d’autres dont s’est amusé à l’époque l’animateur Jon Stewart dans son Daily Show sur Comedy Central.
Même confusion en France
De l’autre côté de l’Atlantique, en Italie, un journaliste de la Rai s’est fendu cette année du même lapsus «Obama/Osama» et l’agence de presse Ansa l’a commis dans une légende de photo. Les journalistes français ne sont pas en reste. Dans un billet paru mercredi, Daniel Schneidermann, spécialiste des médias, pointe du doigt Le Parisien (pour une légende photo), mais aussi lui-même qui s’est trompé dans une première réaction sur le site d’Arrêts sur images.
Il cite également son confrère Guy Birenbaum qui avait manqué de dire «Obama» à la place de «Ben Laden» dans une chronique sur Europe 1. Ce dernier y voit d’ailleurs une explication totalement psychanalytique: «C'est parce que tout le monde, au fond, est certain qu'Obama finira assassiné.»
«C’est la pensée véritable du journaliste qui sort»
Parmi les psychanalystes justement, le débat est ouvert. Pour Liliane Holstein, «l’inconscient gère absolument tout: les erreurs, les blocages, les paroles parasites». En somme, tout lapsus, même lorsqu’une seule lettre fait la différence. «L’inconscient se fiche de ce rapprochement, il s’amuse à jouer même sur une lettre, il est filou», dit-elle à 20Minutes. «C’est la pensée véritable du journaliste qui sort», conclut-elle.
Ce n’est pas totalement l’avis de son confrère parisien, Pascal Zentz. Joint par 20Minutes, le psychanalyste conçoit que «le lapsus est très personnel» et constitue bien «une émergence de l’inconscient», mais pour l’affaire «Obama/Oussama», il donne sa chance à la confusion lexicale, penchant pour «une simple faute d’inattention».
«Le lapsus n’est pas une confusion»
«Le lapsus n’est pas une confusion, c’est une pulsion qui vient de l’intérieur, quelque chose qu’on voulait taire», explique Pascal Zentz, qui évoque des mots en général très différents pour désigner un «vrai» lapsus. De plus, le psychanalyste rappelle que Barack Obama et Oussama ben Laden sont «des personnages éminemment publics», ne résidant pas forcément «dans l’inconscient» des émetteurs de lapsus.
Une thèse partagée par Jean Laloux, qui dirige le cabinet Inférences, spécialisé dans l’analyse sémantique des discours. Pour ce linguiste, joint par 20Minutes, outre la proximité des deux noms, la présence d’une personnalité aussi importante que Barack Obama au centre du dispositif d’information (la mort de Ben Laden) «potentialise encore plus le risque de confusion».
«Le refoulé n’est pas partout!»
D’après Jean Laloux, de manière générale, «cette rupture dans la construction de la langue est complètement insignifiante, la langue qui fourche sur une difficulté phonique, c’est très classique et on fait cela toute la journée sans nous en rendre compte». Si le linguiste reconnaît tout de même qu’il y a dans ce cas du «potentiel interprétatif» (Fox News, par exemple, est connue pour son hostilité envers Barack Obama), il préfère s’interroger moins sur les émetteurs que sur leurs auditeurs et leurs observations.
«C’est le contexte et la volonté d’interpréter qui va orienter le discours», explique Jean Laloux. «Le refoulé n’est pas partout!» renchérit-il, déculpabilisant ainsi tous les malheureux auteurs de lapsus. L’ancien ministre Roland Dumas, qui a été le seul à se démarquer en confondant mercredi soir sur France 2 Woody Allen et Oussama ben Laden, peut dormir tranquille.