Emmanuel Macron face à Plenel et Bourdin: «Le caractère très marketé de ces interviews peut rendre les Français suspicieux»
INTERVIEW•Le face à face entre les journalistes de Mediapart et RMC, et le président de la République, a été vivement critiqué sur les réseaux sociaux...Propos recueillis par Clio Weickert
L'essentiel
- Emmanuel Macron était interviewé dimanche soir par Edwy Plenel et Jean-Jacques Bourdin, après avoir été interrogé par Jean-Pierre Pernaut jeudi.
- De nombreuses critiques se sont élevées sur les différents styles des journalistes intervieweurs.
- « 20 Minutes » a demandé à Marlène Coulomb-Gully, chercheuse en communication politique, pourquoi les Français sont si souvent insatisfaits des journalistes qui se prêtent à l’exercice de l’interview politique.
Ils étaient pugnaces et offensifs. L’entourage du président s’attendait à un « match de boxe », rapporte Le Parisien, et l’affrontement a bel et bien eu lieu. Dimanche soir sur BFMTV et Mediapart, Jean-Jacques Bourdin et Edwy Plenel n’ont pas ménagé Emmanuel Macron, quelques jours seulement après l’entretien dans une école avec Jean-Pierre Pernaut, au 13h de TF1.
Si l’audience a été au rendez-vous (3,8 millions de téléspectateurs environ), l’exercice mené par Jean-Jacques Bourdin et Edwy Plenel a été vivement critiqué sur les réseaux sociaux. Beaucoup leur ont notamment reproché une trop grande agressivité face à Emmanuel Macron, voire une certaine familiarité (aucun des deux journalistes ne portait de cravate). Quelques jours plus tôt, à l’opposé de cet entretien dominical, c’est une trop grande consensualité que l’on reprochait à Jean-Pierre Pernaut.
A-t-on un problème avec les intervieweurs politiques en France, considérés comme trop complaisants, ou trop virulents ? 20 Minutes a posé la question à Marlène Coulomb-Gully, chercheuse en communication politique et professeure à l’université de Toulouse-II Jean-Jaurès.
Comment expliquer l’agacement des téléspectateurs concernant cette interview ?
D’un point de vue de citoyenne, moi ce qui m’a frappée, c’est que tous ces intervieweurs étaient des hommes. Et pour un président qui fait de l’égalité et de la parité un des axes de son mandat, cela me semble contradictoire. Nous sommes face à des hommes blancs qui ont la soixantaine, je trouve que c’est une vision étrange du journalisme qui nous est montré à travers ces choix. Ensuite, il faut noter que ces interviews étaient extrêmement scénarisées. Il y a eu celle du 13h portée par l’icône du « journalisme de papa », et pour faire contrepoids, un entretien avec deux journalistes réputés agressifs et sans concession. Ce côté très préparé peut rendre suspicieux et nuire à la sincérité.
Dans le sens où les téléspectateurs ne sont pas dupes ?
Ce caractère très marketé n’engage peut-être pas à la confiance et la sincérité. Sans oublier ce côté très viril de cet entretien avec ces deux journalistes, où il fallait montrer ses muscles d’un côté comme de l’autre. Il y avait un aspect très rentre-dedans et combat de coqs. Cette mise en scène participe peut-être à l’agacement des Français.
Les Français ont-ils particulièrement plus de mal avec ce registre plus virulent ?
On a une tradition journalistique différente des pays anglo-saxons, où elle peut paraître plus agressive. En France et notamment dans le cas des interviews présidentielles, ce sont les présidents qui choisissent les journalistes, et on a tendance à favoriser un journalisme plus complaisant. L’interview d’Emmanuel Macron par Laurent Delahousse il y a quelques mois, était un peu représentative de cela. Voire caricaturale. Pour ce qui est de l’interview face à Edwy Plenel et Jean-Jacques Bourdin, elle fait partie de « l’ethos » du président, tel qu’il l’a construit depuis le départ. Comme le déplacement à l’usine Whirlpool d’Amiens l’an dernier, ça participe à cette même construction d’identité stratégique qui vise sans doute à contrer le fait qu’il soit un homme de cabinet. Il a besoin de faire la preuve d’une certaine façon, qu’il sait aller au combat, se rendre sur le terrain, y compris de s’engager sur des terrains réputés difficiles.