INTERVIEW« Lancer un magazine comme "Vraiment", économiquement, c'est de la dentelle

«Vraiment», «Ebdo»... «Ces titres s’adressent au même public, il faut voir s’il y a de la place pour tous»

INTERVIEWLe sociologue des médias Jean-Marie Charon évoque pour « 20 Minutes » les enjeux de l’arrivée ce mercredi de « Vraiment », un nouvel hebdomadaire dans les kiosques…
Propos recueillis par F.R.

Propos recueillis par F.R.

Vraiment vient d’arriver dans les kiosques ce mercredi. Cet hebdomadaire qui se clame « vraiment sérieux, vraiment curieux », paraît alors qu’un autre magazine dit « alternatif », Ebdo, est en difficulté au bout de quelques numéros. Ils complètent une offre déjà bien fournie au format papier ou sur Internet (Les Jours, Le Média…) prétendant aborder l’actualité autrement, loin de la frénésie des médias traditionnels.

Ce créneau, a priori porteur, ne risque-t-il pas la saturation ? 20 Minutes a posé la question au sociologue des médias Jean-Marie Charon qui a codirigé l’ouvrage Le journalisme en questions - Nouvelles frontières des médias et du journalisme (Ed. L’Harmattan).

Alors qu'Ebdo cherche activement un repreneur ou des investisseurs après seulement quelques numéros, est-ce le bon timing pour lancer un nouveau magazine sur ce créneau « alternatif » ?

On est dans un contexte qui explique ces nouvelles publications. On a une organisation des médias dans laquelle domine un flux d’informations sur une actualité traitée de manière instantanée. Le rythme est donné par les chaînes d’info en continu et des sites Web. La rapidité et l’objectif d’exhaustivité conduisent à une tendance consistant à présenter des nouvelles redondantes et à se focaliser sur certains sujets. Ce qui pose problème à une partie du public que je qualifierais de plus éduqué, intéressé par les questions d’infos, en prise avec la vie collective et associative et, parfois, avec des engagements sociétaux. Ils veulent un pas de côté, c’est-à-dire des décryptages, un approfondissement de sujets moins traités par le grand flux d’information. Cela a d’abord ouvert l’espace à des publications comme des mooks [contraction de magazine et de book, comme les trimestriels XXI ou Usbek & Rika], puis d’autres se sont dit « Pourquoi ne pas opter pour une périodicité plus rapide, hebdomadaire ? »

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Ebdo se dit « non partisan », Vraiment promet « plus de faits et moins d’opinion »… Clamer sa supposée objectivité, est-ce un argument de vente pertinent ?

On est dans une logique éditoriale de construction de communautés. Les magazines dont on parle ne vont pas chercher de très grandes audiences ni s’adresser au très grand public. Chacune crée un espace où il essaye d’établir une relation plus intime, interactive, avec son public. Même si, dans le cadre d’une publication papier, cette interactivité est symbolique. La problématique est de construire des identités fortes. Certains revendiquent donc de parler des faits « et rien que des faits ».

Autre chose : de nombreuses publications se présentent comme indépendantes du marché publicitaire. C’est peut-être aussi dû au fait que ce marché à tendance à se concentrer sur les plus grosses audiences. Dans ce cas, autant se dire désengagé. La contrepartie peut-être lourde : c’est le prix. Ces magazines ciblent des CSP +, des milieux haut de gamme en termes culturels et éduqué. Il leur est demandé un effort financier. Ces publications travaillent sur de petites échelles. Ce n’est pas une partie de plaisir. Il y a eu des succès, comme XXI ou Le 1. Mais il ne faut pas grand-chose pour que ça se tende un peu. Comme quand Presstalis, la principale société de distribution des journaux et magazines, a annoncé bloquer une partie du chiffre d’affaires issu de la vente de ces publications afin d’amortir des difficultés économiques. Des rédacteurs en chef sont montés au créneau​ pour dire que cela les fragilisait. Economiquement, c’est de la dentelle.

Mais, pour être viable, en s’affranchissant des recettes publicitaires, il faut donc trouver et fidéliser son lectorat rapidement…

Certains ont un succès rapide, comme XXI ou Society. Mais on voit bien qu’en raison de ses, disons, « maladresses », Ebdo n’est pas dans la montée en gamme espérée. Le Web arrive peut-être plus vite à des points d’équilibre. Ces nouveaux médias s’adressent toujours au même public, à partir du moment où ils se multiplient, il faudra observer s’il y a de la place pour tous.