PresseLes origines de la guerre intermédiatique entre «Charlie» et « Mediapart »

«Charlie» et « Mediapart », aux origines de la guerre intermédiatique

PresseRiss accuse Edwy Plenel de « condamner à mort une deuxième fois » sa rédaction…
Edwy Plenel, fondateur de Mediapart et Riss, directeur de «Charlie Hebdo».
Edwy Plenel, fondateur de Mediapart et Riss, directeur de «Charlie Hebdo».  - IBO/BALTEL/SIPA
Anne Demoulin

Anne Demoulin

Autrefois proches, Charlie Hebdo et Mediapart se livrent une guerre intermédiatique. Une violente querelle idéologique, sur fond de rapport à l’Islam, qui a atteint un nouveau palier avec l’édito de Riss, paru dans le numéro en kiosque ce mercredi. Dans cette charge, le directeur de l’hebdomadaire accuse Edwy Plenel, le directeur du site d’information, de « condamner à mort une deuxième fois » sa rédaction en disant que le journal satirique prenait part à une « campagne plus générale » de « guerre aux musulmans ». Retour sur une polémique en plusieurs actes.

« La haine ne peut pas avoir l’excuse de l’humour »

Tout a commencé en janvier 2015, à l’époque de l’attentat contre Charlie Hebdo. « Je ne pense pas que, dans le débat public, on puisse tout prendre à la rigolade, à l’ironie, à la moquerie. La haine ne peut pas avoir l’excuse de l’humour, et la moquerie est condamnable si elle s’attaque à des gens, à des identités », avait nuancé Edwy Plenel au sujet du droit à la caricature.

Hasard du calendrier, il participe en janvier 2015 à un colloque à Brétigny-sur-Orge pour faire la promotion de son livre Pour les musulmans. Tariq Ramadan fait partie des invités. Mediapart et son directeur font l’objet ce week-end là de violentes critiques.

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Face à la polémique, Edwy Plenel dit au sujet de l’islamologue sur le plateau du Petit Journal de Canal + : « C’est un intellectuel très respectable. »

De son côté, dans l’émission américaine « Democracy Now » ou sur Al-Jazira en anglais, Tariq ramadan assène : « Ne venez pas me dire aujourd’hui que [les journalistes de Charlie] étaient courageux, ça, non. (…) C’était avant tout une question d’argent. Ils étaient en faillite depuis deux ans. Et ce qu’ils tiraient de ces controverses visant l’islam d’aujourd’hui et les musulmans étaient une manière de faire de l’argent. » Sur son compte Facebook, il poste après le Bataclan : « Je ne suis ni Charlie ni Paris, je suis perquisitionnable. »

« Affaire Ramadan, Mediapart révèle : on ne savait pas »

Charlie épingle Tariq Ramadan dans sa Une du 1er novembre, lorsque l’islamologue est accusé d’agressions sexuelles et de viol. Après cette une, Charlie Hebdo reçoit de nouvelles menaces de mort.

C’est dans ce contexte que commence la bataille rangée entre médias. L’hebdo titre une nouvelle fois sur l’islamologue le 8 novembre, tout en attaquant aussi Mediapart. « Affaire Ramadan, Mediapart révèle : on ne savait pas », peut-on lire sous une caricature signée Coco. Une allusion au fameux « Tout le monde savait » après l’arrestation de Dominique Strauss-Kahn à New York en 2012. Le dessin montre quatre versions d’Edwy Plenel, longue moustache s’étirant pour couvrir bouche, yeux et oreilles et le rendre sourd, muet et aveugle, sur le modèle des singes de la sagesse.

« L’affiche rouge de Charlie contre Mediapart »

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« La liberté de la presse et la liberté d’expression par les caricatures ne sont pas négociables » mais cette liberté ne « donne pas licence pour désinformer et calomnier », réplique la Société des journalistes de Mediapart.

« Mediapart a longuementenquêté sur Ramadan, et publié une série d’articles à son sujet en avril 2016. Lors de ce travail au long cours, la rédaction n’a jamais eu connaissance de la moindre accusation de harcèlement, d’agression sexuelle, ni de viol. Si cela avait été le cas, nous aurions bien sûr enquêté à leur sujet. », défend encore la SDJ. Dans cette enquête, Tariq Ramadan était notamment qualifié d’« épouvantail », de « gourou has been » ou encore de « Zemmour à l’envers ».

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« Soutien absolu à Charlie quand ils sont menacés ; les combattre avec les mots, les idées et les faits face à une Une (demain) aussi abjecte », tweete Fabrice Arfi, chef du pôle enquête du site.

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Edwy Plenel dénonce quant à lui « l’affiche rouge de Charlie contre Mediapart », en référence à celle placardée en 1944 sous Vichy pour retrouver les résistants du « groupe Manouchian » avant de les fusiller. « Ils peuvent me haïr, ils ne parviendront pas à m’apprendre la haine », citant Romain Rolland.



« Il renverse les rôles, se prend pour Manouchian et désigne Charlie comme - on reste mesuré, hein ? - malfaisant. Au passage, n’oublierait-il pas que c’est l’équipe de Charlie qui a été pulvérisée au matin du 7 janvier 2015, et pas lui ? », attaque dans un billet sur Facebook, le journaliste Fabrice Nicolino, grièvement blessé lors de l’attentat du 7 janvier 2015.

« Une surenchère inutile », estime sur France 5 Fabrice Arfi, numéro deux du site d’information, qui se garde de relayer la comparaison historique. Trop tard, la machine médiatique est lancée.

« La guerre aux musulmans »

Au téléphone, à France Info, Edwy Plenel dit : « La une de Charlie Hebdo fait partie d’une campagne plus générale que l’actuelle direction de Charlie Hebdo épouse. Manuel Valls et d’autres, parmi lesquels tous ceux qui suivent Monsieur Valls, une gauche égarée, une gauche qui ne sait plus où elle est, alliée à une droite voire une extrême droite identitaire, trouve n’importe quel prétexte, n’importe quelle calomnie pour en revenir à leur obsession : la guerre aux musulmans, la diabolisation de tout ce qui concerne l’islam et les musulmans »

Le 12 novembre, 130 personnalités signent une tribune de soutien à Mediapart.

« Il semble bien que nous soyons confrontés ici à une campagne politique qui, loin de défendre la cause des femmes, la manipule pour imposer à notre pays un agenda délétère, fait de haine et de peur », souligne le texte. Parmi les signataires, on compte les écrivains Patrick Chamoiseau et Jean-Claude Carrière, l’économiste Thomas Piketty, la militante féministe Caroline De Haas, l’ex-député Christian Paul (PS) ou Olivier Besancenot (NPA).

Du côté de Charlie Hebdo, Renaud Dély, directeur de Marianne, écrit dans un édito que « Charlie peut tout se permettre ».

Edwy Plenel « confond les musulmans et les islamistes », fustige Laurence Rossignol, ex-ministre des Droits des femmes. « Dire que dénoncer les islamistes, dénoncer Tariq Ramadan, c’est porter atteinte aux musulmans, c’est une assimilation préjudiciable à tous les musulmans qui vivent en France », ajoute-t-elle.

Sur CNews, Manuel Valls accuse Edwy Plenel de « complicités » envers le « prédicateur islamiste » : « Il faut que la vérité éclate sur ce soi-disant intellectuel [Tariq Ramadan], promoteur de la charia, qui a fait un mal terrible dans notre jeunesse, ses prêches dans nos mosquées, ses amitiés, ses complicités – je pense à Edwy Plenel », condamne l’ancien Premier ministre.

Sur le site, Antoine Perraud, fait de l’ancien ministre Manuel Valls le fils « de Marcel Déat et d’Adrien Marquet », deux néosocialistes lourdement compromis, sous Vichy, dans la collaboration avec les nazis.

« Plenel condamne à mort une deuxième fois “Charlie” »

« Cette phrase, « La une de Charlie Hebdo fait partie d’une campagne générale de guerre aux musulmans », nous ne la pardonnerons jamais », écrit Riss dans le Charlie Hebdo du 15 novembre. « Car en la prononçant, Plenel condamne à mort une deuxième fois Charlie. Cette phrase n’est plus une opinion, c’est un appel au meurtre. Si demain, on nous liquide tous, espérons qu’il subsistera quelques courageux qui demanderont justice contre ceux qui nous auront frappés, mais aussi contre les esprits qui les auront armés », poursuit-il.

« Cette phrase, c’est très grave. C’est un appel au meurtre », reprend Manuel Valls sur BFMTV et RMC mercredi.

Le fond du problème est ailleurs, il s’agit des « règlements de comptes entre journaux séparés par des désaccords éditoriaux », comme le souligne la SDJ de Mediapart. Au traversCharlie et Mediapart, deux gauches s’affrontent : l’une (Charlie) tenante d’une laïcité ultra-stricte, l’autre (Mediapart) parlant de « racisme d’Etat » en France. Un débat qui s’éloigne du sujet de départ, les violences faites aux femmes.