PRESSEA-t-on moins peur de montrer des enfants syriens morts que des Français?

Une de «Libé» sur la Syrie: A-t-on moins peur de montrer des morts étrangers que des Français?

PRESSE« Libération » fait ce jeudi sa une sur l’attaque chimique de Khan Cheikhoun en Syrie…
Laure Beaudonnet

Laure Beaudonnet

«Les enfants d’Assad », titre Libération. Le journal fait ce jeudi sa une sur l’attaque chimique contre la ville syrienne de Khan Cheikhoun qui a fait plus de 80 morts. Sur fond noir, des corps d’enfants s’entassent les uns sur les autres. L’image, extraite d’une vidéo d’Edlib Média Center diffusée par AP, ne laisse pas indifférent et certains internautes s’en sont émus sur Twitter, relève le Huffington Post.

Trois jours après les faits, le caractère chimique de l’attaque se précise même si les circonstances restent encore indéterminées et controversées, plusieurs pays occidentaux mettant en cause le régime de Bachar al-Assad. Après le petit Aylan, noyé sur une plage grecque en septembre 2015, et, ici, les enfants syriens victimes d’une attaque chimique présumée, la question se répète : pourquoi décider de publier de terribles images aujourd’hui et pas à d’autres reprises ?

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L’image « témoigne de l’horreur absolue »

« On agit dans l’idée de faire au mieux selon les circonstances. Cette fois, il nous a semblé utile de publier cette photo pour la prise de conscience », explique Laurent Joffrin, directeur de la rédaction de Libé, ce jeudi matin à 20 Minutes. Le quotidien a choisi cette image après de longues discussions et après avoir vérifié son authenticité.

« Elle reflète une réalité, une attaque au gaz. Elle témoigne de l’horreur absolue, car ce sont des enfants, c’est le fait qui est choquant, pas l’image », précise Laurent Joffrin. Pour montrer la réalité de la guerre, le recours à l’émotion permet souvent d’interpeller l’opinion publique. Une « émotion amplifiée avec des enfants, surenchérit Jean-Marie Charon, sociologue spécialiste des médias. Mais jusqu’à quel point a-t-on raison de recourir à l’émotion pour sensibiliser ? » s’interroge-t-il.

Libération n’en est pas à son coup d’essai, rappelle le sociologue, sans pour autant soupçonner le journal de verser dans le sensationnel. « Il s’agit à chaque fois de faire bouger l’opinion. Pendant la guerre du Golfe, c’était l’un des seuls journaux à montrer des photos de soldats morts », se souvient-il. « La publication d’une image fait l’objet d’un arbitrage complexe. Ici, c’est à la fois le phénomène de bombardement, la répétition des choses et l’inertie de la communauté internationale qui pousse à se dire que cette photo va dans le sens de l’intérêt général », insiste le chercheur.

La question du droit

Mais alors, pourquoi n’a-t-on pas mis les jeunes victimes de l’attentat de Nice en une ? « La proximité peut jouer. Concernant l’attentat de Nice, la prise de conscience est immédiate », précise Laurent Joffrin. « Quand il s’agit de notre pays, il y a toujours d’autres arbitrages : des proches peuvent connaître des victimes », soulève Jean-Marie Charon.

Avant d’évoquer une raison plus concrète : la crainte de poursuites judiciaires. « Si on regarde la jurisprudence, il y a eu souvent des procès. L’épouse du préfet Erignac avait attaqué les médias qui avaient publié l’image de son mari sur le trottoir. Une victime de l’attentat à Saint Michel avait porté plainte également. » Et la France est d’autant plus frileuse à l’idée de publier de telles images que son droit est contraignant.