Le Président et les médias: «La liaison Hollande-Gayet met les journalistes face à un dilemme»
INTERVIEW•Spécialiste de la presse, Juliette Charbonneaux analyse le traitement médiatique de la figure présidentielle...Propos recueillis par Anne-Laëtitia Béraud
Les relations entre la communication politique et les médias n’ont rien de simple… Juliette Charbonneaux, maître de conférences au Celsa, publie le 1er octobre Les Deux Corps du président (Editions Les petits matins, 14 euros). Cette docteure en sciences de l’information et de la communication revient pour 20 Minutes sur ces relations sous tension.
Le documentaire sur François Hollande à l’Elysée, diffusé ce lundi soir, est inédit par la durée du tournage (qui s'est étendu d'août 2014 à février 2015). Qu'est-ce que cela vous inspire?
Il y a une différence entre le verrouillage supposé de la communication politique élyséenne et la réalité. En ouvrant ses portes, l’Elysée veut donner le signe que sa communication n’est pas si verrouillée que cela, et que les médias ont finalement une marge de manœuvre. Ce signe a déjà été envoyé avec un long reportage de M, le magazine du Monde, à la fin 2014.
Un personnage clé de ce documentaire est le conseiller communication de François Hollande, Gaspard Gantzer, une superstar de la communication…
Il y a une responsabilité des médias à faire de ce conseiller une superstar, un expert de la communication. La starification peut aussi être interprétée comme un fait de communication de la part du politique : l’Elysee affiche un personnel communicant « dans le coup » qui maîtrise à la fois les techniques et leur évolution.
Dans votre ouvrage, vous étudiez la façon dont les « médias se laissent séduire par le people ». Est-ce nouveau ?
C’est un processus historique au long cours, qui n’a pas débuté avec François Hollande. Dans mon ouvrage, j’étudie le traitement médiatique de liaison entre le Président et Julie Gayet. C’est un cas inédit sous la Ve République. J’analyse les procédés par lesquels la vie privée du Président s’est immiscée dans les discours et les récits d’actualité produits par les médias généralistes. Ceux-ci sont face à un dilemme: doivent-ils parler d’une histoire, au risque de la « peopolisation » ? Ou ne pas réagir, quitte à manquer au devoir d’informer ?
Pourquoi, selon vous, les médias se laissent-ils gagner par la « peopolisation » ?
Face à une crise incessante liée aux problèmes économiques et à la fuite des lecteurs et téléspectateurs, les médias ont des infléchissements. Il y a par ailleurs une tendance à l’autoflagellation parmi les médias : ils se reprochent les uns les autres de faire du « people » et se désolent de ne pas faire du journalisme à l'anglo-saxonne, supposé plus neutre, plus direct, plus éloigné de la communication politique.
Ce phénomène de « l’infiltration du privé » dans les médias est-il durable ?
Je ne pense pas qu’il va s’éteindre, même s’il reste aux yeux de tous relativement discret. C’est en analysant l’importante production d’articles et d’émissions que l’on se rend compte de l’importance du phénomène. Pour alimenter ce phénomène, il faudra évidemment des événements créés par les politiques, parfois à leur corps défendant. Il y a donc une responsabilité partagée entre les politiques et les médias.