Crise à Radio France: Le modèle économique est-il dépassé?
MEDIAS•Le PDG de Radio France assure que «Radio France est au bout de son modèle économique». Décryptage...Annabelle Laurent
«Radio France est au bout du modèle économique que l’entreprise a toujours connu», a affirmé le PDG du groupe Mathieu Gallet lors de son audition à l’Assemblée nationale mercredi, en citant les conclusions du rapport de la Cour des Comptes rendu public une semaine plus tôt. De quel modèle économique parle-t-on?
Le modèle économique «était basé sur une croissance chaque année de la dotation versée par l’Etat qui a cru jusqu’en 2012, qui depuis 2012 a baissé, et qui aujourd’hui sera stabilisé comme l’a confirmé la Ministre de la Culture, pour les trois prochaines années jusqu’en 2017», a poursuivi Mathieu Gallet.
Radio France est en effet financé à plus de 90% par la redevance audiovisuelle, dont l’apport a baissé de 2012 à 2015, à 601 millions d'euros par an au lieu de 610 millions perçus en 2012, alors que les charges n'ont pas diminué et que le budget global de Radio France était d'environ 660 millions d'euros en 2014. Pour la première fois de son histoire, Radio France a indiqué que son budget serait déficitaire de 21,3 millions d’euros en 2015.
Un «vocabulaire politique»
Y a-t-il une «lourde responsabilité [de l’Etat] dans le sous financement de Radio France», comme l’assurent les syndicats? Radio France coûte-t-elle trop cher, avec en cause, une mauvaise gestion? A quel point le déficit peut-il s’expliquer par la facture accablante du chantier de rénovation de la Maison de la radio, qui devait coûter 172 millions, et au bout de dix ans, en a déjà coûté 584 millions?
Pour Jérôme Bourdon*, historien et sociologue des médias, «il serait maladroit d'opposer un 'modèle économique dépassé' à un problème conjoncturel: des travaux mal gérés, une réduction des ressources».
«Le vocabulaire du « modèle économique » est profondément politique, estime-t-il. Si l’Etat décide qu’il ne veut plus financer un certain type de service public, avec des personnels jugés trop protégés, et des coûts trop élevés par rapport au paiement de la redevance, c'est un choix, politique, de poursuivre un mouvement amorcé il y a bientôt trente ans: la déréglementation de l'audiovisuel, la réduction du périmètre du secteur public».
Un modèle inverse à celui de la BBC
Une déréglementation propre au modèle des pays du Sud, auquel la France appartient, estime Jérôme Bourdon. «Les services publics du Nord (la BBC en tête, et en incluant l’Allemagne) ont été mieux financés et ont obtenu une relative stabilité, tandis que dans les pays du Sud, les interventions politiques, le maigre financement, la commercialisation précoce, ont très tôt menacé et conduit à une déréglementation plus rapide et plus radicale», explique ici l’historien.
Mais la radio, «moins controversée, moins chère que la télévision, a été mise quelque peu à l'abri, précise Jérôme Bourdon, avec des réalisations dont on ne peut contester l'originalité, singulièrement France Culture, dont il n'est guère d'équivalent. Il y a un prix à cette originalité, et il faut donc une volonté politique pour payer ce prix.»
*Histoire de la télévision sous de Gaulle, Presses des Mines et INA, 2014.