Swissleaks: Un journaliste belge membre du réseau d'investigation planétaire raconte l'enquête
JOURNALISME•Les révélations publiées par «Le Monde» sous le nom de code «Swissleaks» ont été possible grâce au travail du Consortium international des journalistes d’investigation, l’ICIJ. Alain Lallemand, qui a travaillé sur l’enquête pour le journal belge «Le Soir», raconte…Alice Coffin
L'essentiel
- Pourquoi l’enquête «Swissleaks» paraît-elle à la fois dans plusieurs médias internationaux?
- Comment fonctionne le plus grand réseau de journalistes d’investigation au monde?
- Qui peut être membre de ce réseau?
Les révélations regroupées sous l’expression «Swiss leaks» ont été publiées dans le journal Le Monde. Mais aussi détaillées dans l’émission d’investigation «60 minutes» sur CBS News dimanche. Ou encore révélées par le quotidien belge Le Soir dans un article signé Alain Lallemand. Journaliste d’investigation renommé depuis de longues annes –il est notamment l’auteur d’une des premières enquêtes sur la mafia-, Alain Lallemand est membre de l’ICIJ (le Consortium international des journalistes d’investigation). Ce réseau de 185 journalistes issus de 65 pays est à l’origine de Swissleaks. Alain Lallemand, auteur de Ma plus belle déclaration de guerre, explique à 20 Minutes le fonctionnement de ce réseau.
Comment êtes vous-devenu membre de l’ICIJ?
J’ai publié en 1994 aux éditions Calmann-Lévy une enquête sur l’intérieur de la mafia russe remarquée par les Américains. Ils sont venus me trouver en 1999, en me disant: «Voilà on a monté quelque chose, un rassemblement international de journalistes d’investigation pour travailler en commun et on aurait besoin de francophones alors on a pensé à toi.» On a été 10, puis 40, puis 140.
Que doit-on à l’ICIJ?
Au départ, c’était beaucoup d’enquêtes de terrain. Sur les trafiquants d’armes comme sur le problème de la surpêche de thon rouge en Méditérannée. A chaque fois, en tout cas, sur des sujets qui intéressent les médias au travers des frontières. Depuis quelques années, nos investigations portent sur les données via le data-journalisme. Parce que la finance est au centre de beaucoup de choses. Cela a donné Offshoreleaks, Luxleaks et maintenant Swissleaks.
Vous travaillez comment concrètement?
Par exemple pour Swissleaks, Le Monde est arrivé et a mis le dossier sur la table en disant: «On a quelque chose sur HSBC mais c’est trop gros pour nous, on n’a pas envie de travailler juste pour nous et de se le garder.» On a donc fait des échanges de documents et du décodage mondial via des plateformes cryptées.
Mais qui finance?
Même si la majorité des membres ne sont pas américains, c’est financé par des dispositions fiscales américaines sur les projets d’investigation. On peut avoir des abattements fiscaux si on finance ces projets-là, ce qui n’est pas le cas en Europe. Il y a donc un bureau à Washington avec dix personnes à temps plein au sein du Center for Public Integrity. Sinon le deal est très simple, chaque rédaction paie ses frais, tout le monde bénéficie des données récoltées par les autres et en contrepartie met les siennes au pot commun. Cela fonctionne comme une grande rédaction d'une centaine de personnes.
Mais sur quelles bases se fait le recrutement?
C’est de la cooptation. On cherche vraiment de très bons journalistes d’investigation. Qui ne mélangent pas leur métier avec le journalisme de caniveau. L’ICIJ localise aussi les journalistes selon les besoins. Par exemple, il a été fait appel aux Pays-Bas à un spécialiste des fraudes pharmaceutiques, en Italie des fraudes mafieuses, et en Flandre des fraudes diamantaires. On a besoin d’experts.
Et que fait le bureau?
Ils emploient aussi des gens de très haute volée pour centraliser et finaliser les dossiers. Par exemple, tout Swissleaks a été relu par Steve Doig, un journaliste senior très connu qui a tout revu.