«La cyberdissidence existe depuis qu’Internet existe»
INTERVIEW•Arte dresse ce mardi le portrait de trois blogueuses qui défient le pouvoir de leur pays. Lucie Morillon, de «Reporters sans frontières», apporte son éclairage dans ce remarquable documentaire. Elle revient pour «20 Minutes» sur les origines de la cyberdissidence…Anaëlle Grondin
A la veille de la Journée mondiale contre la cybercensure, Arte diffuse ce mardi à 22h35 «Forbidden Voices, les voix interdites», un documentaire frappant donnant la parole à trois cyberdissidentes qui se battent au quotidien pour exercer leur liberté d’expression en Iran, à Cuba et en Chine. Lucie Morillon, directrice de la recherche à Reporters sans frontières, intervient à plusieurs reprises dans ce film. Elle revient pour 20 Minutes sur cette manière de lutter contre la censure de son pays.
Qu’est-ce que cela veut dire, être un «cyberdissident»?
Il faut surtout retenir le mot «dissident», celui qui veut lutter contre la propagande de son régime. Avant, les dissidents faisaient circuler les infos sous le manteau. L’arrivée d’Internet leur a donné un nouvel espace pour s’exprimer, ils sont devenus «cyberdissidents». C’est un outil pour mobiliser la société civile et informer. Et avec Internet, ils peuvent jouer la carte de la pression de la communauté internationale pour faire avancer les choses. Dans un pays très fermé comme l’Arabie saoudite, c’est sur Internet que se sont lancés des débats importants, notamment sur le permis de conduire pour les femmes.
Quand ont commencé à «bloguer» les premiers cyberdissidents?
La cyberdissidence existe depuis qu’Internet existe. Depuis le début des années 2000, on publie chaque année une liste des ennemis d’Internet et il y avait déjà quelques années que des cyberdissidents se manifestaient en Chine et au Vietnam. Ensuite, ça s’est énormément diffusé.
Aujourd’hui, les cyberdissidents sont beaucoup plus médiatisés qu’auparavant. A Cuba, Guillermo Fariñas est très connu, par exemple…
Certains d’entre eux pensent que le fait d’être médiatisé leur apporte une protection par rapport à d’autres militants des droits de l’homme. S’ils sont arrêtés et harcelés, cela peut entraîner des mouvements de contestation. Les pays s’inquiètent pour leur image internationale. On nous a dit à plusieurs reprises que ça a pu être bénéfique.
Est-ce qu’il y a des Etats dans lesquels la censure est plus difficile à contourner que dans d’autres?
Il y a des pays comme la Chine, qui a construit son Internet en pensant «contrôle» avec des moyens techniques derrière pour censurer. Et d’autres qui ont laissé Internet se développer et qui ont pris des mesures ensuite pour contrôler ces cyberdissidences. Mais les gens avaient déjà pris des réflexes. Ces pays jettent derrière les barreaux tous ceux qui souhaitent informer en ligne à l’encontre des discours officiels. Dans le monde, 166 «net-citoyens» sont emprisonnés aujourd’hui. Les Etats qui comptent les plus grandes prisons pour ces cyberdissidents sont la Chine, le Vietnam et ensuite la Syrie et l’Iran au coude-à-coude.
Comment s’apprend la cyberdissidence? Il faut maîtriser les techniques et des outils pour pouvoir publier de l’information en ligne contre la volonté de son gouvernement…
Ces outils se sont beaucoup démocratisés ces dernières années. Il devient plus facile de chiffrer, d’utiliser des VPN [pour surfer de manière anonyme sur Internet]. Sur notre site wefightcensorship.org, on trouve le guide de survie numérique, qui donne un certain nombre de conseils pour contourner la censure, être anonyme. C’est adapté à tous les niveaux.
Mais comment faisaient les tout premiers cyberdissidents? Ils étaient autodidactes?
Oui. Ces techniques sont dérivées des techniques des hackers. Il y a eu énormément de passerelles aussi. Beaucoup de débrouille et d’échange d’informations. Pendant la révolution iranienne de 2009, il y a eu un mouvement de solidarité en ligne, les gens donnaient des conseils à ceux qui étaient sur place.
Voir la bande-annonce du documentaire «Forbidden Voice» diffusé par Arte ce mardi: