«Minute»: Des scoops d’extrême droite au buzz raciste
MEDIAS•Les unes choc et polémiques sont-elles le seul moyen pour l’hebdomadaire d’extrême droite, en difficultés économiques, de survivre aujourd’hui?…Anaëlle Grondin
«On voulait un truc qui buzze, on en a fait un. C'est un beau coup de pub.» Alors que la une de Minute daté de ce mercredi suscite l’indignation générale, un collaborateur de l’hebdomadaire d’extrême droite se félicite dans les colonnes du Monde. Car avec pareille polémique, le magazine, tiré à 40.000 exemplaires cette semaine selon son «ours», pourrait bien voir ses ventes gonfler.
Si Minute ne communique pas sur ses chiffres, l’hebdomadaire d’extrême droite fondé en 1962 est en déclin depuis les années 1980. Le titre, qui n’appartient pas à un groupe de presse puissant et dépend donc fortement des ventes, connaît des difficultés économiques. L’époque à laquelle Minute vendait 250.000 exemplaires chaque semaine est depuis longtemps révolue. «Des échos que j’ai, entre les ventes en kiosques et les abonnements, Minute se vend à 2.000 ou 3.000 exemplaires chaque semaine», se risque Jean-Yves Camus, chercheur à l'Iris et spécialiste de l'extrême droite, contacté par 20 Minutes. Le lectorat s’est effrité malgré des percées importantes de l'extrême droite en Europe.
Terminé le temps des scoops
«Le Minute d’aujourd’hui n’est plus le même Minute qu’avant. Ce ne sont plus les mêmes actionnaires, les fondateurs et plumes historiques sont morts pour la plupart», analyse Jean-Yves Camus. «Minute a perdu de son influence», ajoute-t-il avant de rappeler que dans les années 1970, la publication sortait des scoops avec un vrai travail d’investigation. La publication a notamment été la première à révéler que François Mitterrand avait une fille cachée. C’est terminé, selon le spécialiste de l’extrême droite. Il glisse: «Avant, il y avait des pointures, des journalistes d’investigation qui sortaient des scandales. Minute était un titre de presse craint pour ce qu’il pouvait sortir. Aujourd’hui, la multiplication des pseudonymes ne permet pas de mettre un vrai nom derrière les signatures.» L’hebdomadaire fonctionne désormais avec une équipe de pigistes extérieurs et ne dispose d’aucun bureau, confirme les Inrockuptibles.
Pour Jean-Yves Camus, si l’hebdomadaire d’extrême droite a aussi commencé à décliner dans les années 1980 c’est parce que le public intéressé voyait de plus en plus Jean-Marie Le Pen dans les grands médias: «Tout le monde sait ce que fait et pense le FN, plus besoin de lire la presse d’extrême droite.»
Perte du lectorat venu du FN
Editorialement parlant, Minute reste selon lui «à droite de la droite, avec une volonté de faire le pont entre les sous-familles de toutes les droites», mais le titre n’est plus du tout lié intimement au FN, auquel il affichait pourtant son soutien depuis la fin des années 1970. «Le FN et Minute ont des rapports de franche hostilité», affirme Jean-Yves Camus. «Il y a bien longtemps que nous n'avons plus aucun lien avec Minute», a d’ailleurs confirmé le parti ce mercredi. Et cela ne date pas d'hier. «On peut parler de guerre ouverte depuis que Marine Le Pen a pris la présidence du FN», explique Jean-Yves Camus.
Son engagement dans une opération de dédiabolisation du parti a été un moment charnière. L’hebdomadaire d’extrême droite a choisi de prendre la direction opposée. Cette année encore, Minute s’en est pris au Front national, accusant sa direction de cacher en son sein un «lobby gay». C’était en janvier 2013, pendant les débats sur le mariage pour tous. Marine Le Pen avait alors qualifié le journal de «torchon». Aujourd’hui, le discours n’a pas changé. Minute «se permet de salir tantôt le FN, tantôt les membres du gouvernement», a déclaré à l’AFP ce mercredi Steeve Briois, le secrétaire général du Front national. Il ajoute que l’hebdomadaire «a cherché à faire le buzz et ça marche bien».
Concurrencé par «Valeurs actuelles»
«2013 a été une année bénéfique pour Minute. Le titre survit mal mais il survit quand même. Il ne peut pas le faire chaque semaine, mais il faut tout de même qu’il y ait régulièrement des numéros qui boostent les ventes», réagit Jean-Yves Camus. D'où la surenchère et la une raciste de cette semaine. Il faut dire que pour Minute la concurrence est rude avec Valeurs actuelles, qui surfe lui aussi sur les couvertures radicales. Dernière polémique en date? Sa une de septembre titrant «Roms, l’overdose». Rarement on aura autant parlé de l’hebdomadaire conservateur.