Ollivier Pourriol: «Je pensais trouver en face une défense plus solide»
MEDIAS•Deux semaines après la parution d'«On/Off», le philosophe et ex-chroniqueur du «Grand Journal» s'est confié à «20 Minutes» sur la finalité de son roman satirique, qui a fait grand bruit et provoqué des réactions auxquelles il ne s'attendait pas...Annabelle Laurent
Ollivier Pourriol aura tenu une saison entière au «Grand Journal», et c’est en soi une performance. C’est la conclusion qui vient au lecteur en refermant son roman On/Off, tant le décalage semble grand entre les attentes de cet agrégé de philo nourri à Gilles Deleuze et celles de la production de l’émission phare de Canal+, qui traque les propos «excluants», conseille de «respirer» les livres plutôt que de les lire, et semble n'avoir qu'une seule loi: le respect du timing. Un tel roman, amer, cynique, mais drôle, surtout, n’avait rien d’un cadeau pour l’émission de Canal+, qui a tenté de contrer les critiques.
«Toi, un jour, tu vas écrire un livre pour te venger. Tu vas pas nous rater», vous a dit un jour l’un des patrons de l’émission. Quand avez-vous eu l’idée du livre?
Ils ont eu peur de l’écriture de ce livre très longtemps avant que j’en aie moi-même l’envie. C’était très intriguant cette crainte du livre! Or c’est une idée que je ne me serais pas autorisée pendant le temps où j’y étais. Beaucoup d’amis journalistes et écrivains me disaient «Prends des notes, ce sera intéressant plus tard», mais je ne l’ai pas fait. Je pensais que ça n’avait aucun intérêt. Et j’essayais de m’intégrer. Prendre des notes et tenir un journal donne une distance avec ce qu’on est en train de vivre. Après mon départ, j’ai commencé à chercher la forme, à écrire des dialogues pour voir si ça pouvait se tenir sur tout un livre.
Pourquoi finalement décider que cela méritait d’être partagé, qu’est-ce qui avait changé?
Le rapport au temps. Pour élaborer une pensée, il faut du recul qu’il est difficile d’avoir quand vous êtes tous les jours en direct devant au moins un million de personnes. Même si on ne les voit pas, c’est une expérience en soi qui est étrange. Surtout quand je savais vers la fin que j’étais viré.
Mais quel était votre objectif en publiant ce livre? Prendre votre revanche?
Mon premier objectif était de comprendre ce qui s’était passé, également du point de vue intime, ce qui arrive assez tard dans l’écriture du livre car ça a été assez difficile à affronter. J’ai essayé d’analyser ce qui se passait sur le plateau, de trouver une logique. Que le livre semble être une revanche, c’était le risque. Mais si le livre s’était réduit à ça, ou à une thérapie, je ne l’aurais pas publié.
Vous ne vouliez pas dénoncer un système qui laisse peu de place à la culture?
Il n’y a rien à dénoncer. Ce n’est pas un essai sur la télévision, sur la place de la culture dans les talk-shows. Ce n’est pas un pamphlet. C’est une satire, très documentée. J’ai appelé ça «Comédie» (sur la couverture) car j’ai voulu avoir les yeux de l’amusement, en considérant que j’ai rencontré des personnages. Ce qui est intéressant, c’est que l’idée qu’on se fait d’un système dépend des relations qu’on a eues avec des individus en particulier. Donc je ne ferai pas de généralités. Depuis la rentrée, je vis d’ailleurs une expérience inverse au «Cercle», où j’ai toute la place que je veux pour parler. Je pense également que les années du «Grand Journal» se suivent et ne se ressemblent pas, comme dans un restaurant qui changerait de chef.
Vous vous demandez surtout pourquoi vous êtes restés, ou pourquoi on vous a gardé?
Les deux! Chaque jour était un mystère recommencé. Quand j’ai dit au producteur au mois de janvier «Je vois bien que tu n’es pas content de moi, restons-en là, ce n’est pas la peine de se mentir», c’est là qu’il a voulu me garder, me coacher. C’était incompréhensible pour moi! Je n’ai jamais su pourquoi ils m’avaient gardé.
Vous admettez que votre gros salaire –«Je n'ai jamais autant gagné d'argent à rien foutre»- ne vous encourageait pas à partir…
Oui, mais pas que. L’engagement, la curiosité, aussi. La conviction qu’on ne peut pas réussir tout de suite.
L’équipe du «Grand Journal» vous a invité à parler de votre livre sur le plateau. Pourquoi avoir refusé?
Parce que c’était une convocation! J’ai reçu cinq ou six coups de fil un matin pour m’inviter le jour même pour un enregistrement à 14h. L’idée était d’en rire ensemble, de le traiter sur le mode humoristique. C’est remonté très haut dans la hiérarchie chez eux… Et ça a commencé gentil, et puis l’attachée de presse, qui a reçu encore plus d’appels que moi, a reçu la menace très claire de ne plus inviter les auteurs de la maison Robert Laffont…
Vous vous attendiez à ce que votre livre fasse autant de bruit?
C’est mon neuvième livre, et je sais qu’il est impossible de prévoir la réception d’un livre. Mais je ne m’attendais pas à autant de fébrilité de leur part. Je ne pensais pas qu’ils se sentaient aussi fragiles. J’imaginais qu’il y aurait en face une défense plus solide, des arguments plus convaincants. Quand des gens sont paniqués à ce point pour vous inviter au «Grand Journal», qui est censée être une émission statutaire, ils ont vraiment peur. Mais de quoi?
Vous avez regardé le «Grand Journal» cette année?
Je n’ai plus la télé! J’ai regardé la première semaine, une fois en replay, c’est tout. Je vois juste que mon successeur, Augustin Trapenard, s’en sort très bien.
Finalement, vous étiez une erreur de casting?
Mais qui l’a faite cette erreur? C’est ça qui est intéressant. Ils sont venus me chercher, l’émission avait besoin de sang neuf, mais la fraîcheur suppose d’être inadapté.
L’expérience a été douloureuse?
Il ne faut pas exagérer. Et la douleur, à ce prix-là, n’importe qui, et moi le premier, est prêt à l’accepter. Mais on se demande aussi pourquoi on se tait. A la fin, j’étais sollicité par quelques journalistes pour avoir des éclaircissements sur le sens de mon départ, et je n’ai répondu à personne, je trouvais que ce n’était pas intéressant. Je réponds aujourd’hui car j’ai retrouvé mon territoire propre, à partir d’un objet que j’ai construit patiemment dans mon coin, avec l’amour des mots, en essayant de donner des outils pour percevoir ce qu’on regarde: à quoi servent les applaudissements, comment on repère un point de montage, ce qu’est une régie…
Vous n’avez rien enregistré en prévision de votre livre, comme le soupçonne le producteur Renaud Le Van Kim dans une interview au «Point»?
La réponse de Renaud Le Van Kim, qui est un personnage extraordinaire et fabuleux, a fait rire tout le monde, sa défense était ridicule. Dire qu’il ne reconnaissait pas l’émission tout en m’accusant d’avoir tout enregistré pour que ce soit aussi précis, c’était vraiment marrant comme contradiction! Sans compter que ça supposait non seulement que je sois arrivé avec un projet malintentionné, mais que j’aie les moyens de la CIA ou de la DCRI, avec un équipement assez délirant. Ou au moins un iPhone, alors que j’avais un Nokia tout pourri, tout le monde se foutait de ma gueule. Mais le plus drôle pour moi, c’est que ça dit la méconnaissance complète qu’il a du travail d’écrivain. La mémoire ne suffit pas à faire un livre.
Vous avez donc beaucoup réécrit?
J’ai en fait reconstitué les échanges à partir de phrases inoubliables, dont je n’ai pas varié le contenu, comme: «Tu peux le respirer, le livre», «On ne parle pas des poètes morts», «On est statutaires». A chaque échange, il y avait quelque chose de remarquable, ou qui avait, dans le style, la beauté d’un slogan publicitaire.