Christophe Hondelatte raconte la face sombre de Bogota
MEDIAS•L'animateur était en Colombie du 3 au 13 octobre pour le tournage de «Passeport pour le crime», un documentaire qui sera diffusé sur 13ème rue en janvier. «20 Minutes» y a suivi une partie du tournage...Annabelle Laurent
De notre envoyée spéciale à Bogota
«On m’appelle El Compa». Les vêtements gris de poussière et une casquette vissée sur la tête, Javier s’installe au centre de la voiture aux vitres teintées, Christophe Hondelatte à sa droite. Là où nous allons, El Compa s’y rend lui tous les jours, pour se procurer sa dose de «basuco», le crack local: un dérivé de la cocaïne fabriqué avec des restes de celle-ci et d’autant plus puissante, toxique et destructrice. Accro depuis huit ans à cette «merde», dit-il, l’homme de 42 ans, qui en paraît vingt de plus, est l’un des personnages du documentaire que tourne en ce début du mois d’octobre Christophe Hondelatte pour 13ème rue.
Les ravages du basuco
Son histoire est celle d’un ex-agent de sécurité d’aéroport, très éduqué, qui «comptait les billets avant de s’endormir» tant il en avait, apprend un jour que sa femme le trompe, la frappe, perd son boulot… et tombe dans la drogue. Pas qu’à moitié: il devient chef de gang. «Il est sympa comme ça, mais quand il dit qu’il n’a pas tué, difficile de le croire…» souffle Hondelatte plus tard. Déployant son numéro de charme, El Compa prétend diriger, depuis qu’il a rechuté au terme de neuf mois de cure de désintoxication, une association qui témoigne dans les écoles des ravages du basuco, ou de la cocaïne qui s'achète ici l’équivalent de 2 euros le gramme... contre environ 80 en France. «Vous permettez que je vous montre?» dit-il de son sourire édenté en brandissant sa pipe à crack dans un élan de pédagogie déconcertant.
Exposés dans une rue aux allures de garage géant, les milliers de pneus, pare-chocs, volants et autres pièces de voiture volées qui défilent aux fenêtres signalent l’approche du QG d’El Compa: le «Bronx». L’homme a caché son visage dans sa capuche: «Si on me reconnaît, je suis mort». Le chauffeur surveille ses rétroviseurs. L’entrée de la rue la plus dangereuse de Bogota croule sous un amas d’ordures. Au milieu des constructions de fortunes s’affairent des hommes que la rapidité de notre passage -il ne faut pas s’attarder- transforme en silhouettes.
Le Bronx, rue des «zombies»
Le Bronx, appelé le «L», et par certains, le «cimetière des morts-vivants»... Une zone de non-droit où n’entre pas qui veut, surtout pas la police. Une semaine plus tôt, un policier en civil qui s’y est fait repérer y est resté. De l’autre côté de la rue traînent en plus grand nombre ces hommes fantômes que les Colombiens appellent les «indigents», et l’équipe de tournage «les zombies». Le corps amorphe et le regard vitreux. Un homme sans âge sniffe de la colle, un sac plastique collé à la bouche, le visage ravagé. Ils seraient des milliers à vivre dans cette rue coupe-gorge, mendiants, gamins des rues, toxicomanes, familles très pauvres, dealers, voleurs... «A l’intérieur, la violence peut éclater à tout moment. Il suffit de pas grand-chose pour se prendre un coup de couteau» assure El Compa.
«La drogue en Colombie, on la raconte toujours sous l’angle des narcotrafiquants. On sait moins à quel point le pays est consommateur de ces sous-drogues qui détruisent ces milliers de mecs complètement paumés qu’on croise dans les rues» explique Hondelatte au terme de ce «tour de l’horreur» qu’il a proposé de conclure, après qu’El Compa a guidé notre voiture dans les rues de Sante Fe, un quartier de prostitution dans lequel des centaines de femmes attendent les clients qu’elles feront payer 2 euros la passe…
«En Colombie, le seul risque c’est que vous ne vouliez plus en partir»
«Christophe a une tendance naturelle à aller vers les gens brisés» nous glisse le réalisateur de CAPA, Stéphane Jacques, qui tourne en Colombie depuis maintenant trois semaines avec le fixeur et photojournaliste Damien Fellous. «On est partis sur des histoires, des personnages, en revoyant constamment les tournages en fonction de l’actu des journaux du matin, et des faits-divers de la nuit. Christophe va vers des gens, comme les zombies, vers qui on ne serait pas forcément allés. Il est très cash» poursuit le réalisateur.
«Ils adorent les médias ici. Jamais on a refusé de nous parler» répond Hondelatte quand on lui demande si l’étiquette «Je tourne un film qui raconte votre pays à travers sa criminalité» n’a pas rebuté certains de ses interlocuteurs. Car le slogan de l’Office de tourisme n’est pas innocent: «En Colombie, le seul risque c’est que vous ne vouliez plus partir». La municipalité est fière d’afficher une forte réduction du taux d’homicide, obtenue grâce à une présence policière massive.
«La criminalité ici, ça touche tout le monde. Ce n’est pas cliché, loin de là. La violence, ils la vivent au quotidien. Tous les Colombiens que l’on a rencontrés ont été attaqués, violentés, volés, ont des membres de leurs familles qui sont morts, qu’ils soient riches ou qu’ils soient pauvres» tranche Christophe Hondelatte, sûr de lui.
Le Bronx bientôt rasé?
Les Colombiens les plus aisés n’échappent pas à la violence qui tient le pays, mais à Bogota, ils sont réunis dans des quartiers bien définis, ceux du Nord de la ville, à plus de dix kilomètres du Bronx… qui est lui relégué dans des quartiers très pauvres? Justement, non. La fameuse rue est à deux blocs du palais présidentiel, et à quelques mètres seulement d’un bâtiment de l’armée devant lequel sont tranquillement accoudés deux militaires. Aussi absurde que puisse paraître leur présence, celle-ci s’explique. Le Bronx est très proche de l’ancien «Cartucho», vaste royaume de la drogue dans les années 1980 et 1990. En 2000, les autorités de Bogota envoient des bulldozers le raser et installent un bâtiment de l’armée. Croyant éradiquer le problème... qui non seulement s’est déplacé, mais dans quatre secteurs différents de la ville, dont le Bronx à deux pas.
Assainir Bogota est l’une des priorités de l’actuel maire de Bogota Gustavo Petro, un ex-guérillero, qui voudrait privilégier à l’arrivée des bulldozers une solution moins radicale… Fin septembre, il inaugurait dans les quartiers pauvres de centres de traitements proposant des drogues de substitution, et s’attirait les critiques du procureur général et de plusieurs partis politiques. Incitation à la consommation, à leurs yeux.
«Il faut que vous témoigniez chez vous de ce qu’on vit, parce qu’on ne le mérite pas» lance El Compa sans perdre sa bonne humeur. «Ce qui me guide, et ce qui m’a fait échapper à la mort jusqu’ici, c’est cette phrase, retenez-la bien: «Si Dios contigo, quien contra ti». Si Dieu est avec toi, qui peut te faire du mal.