« Au fond, on pense beaucoup plus vite qu’à la surface », raconte l'apnéiste et recordman Arnaud Jerald
INTERVIEW•Entre vie d’athlète, de manager, les Daft Punk et l’ivresse des profondeurs, Arnaud Jerald, 25 ans, nous raconte sa vie d’apnéiste professionnel et ses plongées, dont la dernière a établi un (bref) record
Alexandre Vella
L'essentiel
- Athlète, manager d’entreprise, Arnaud Jerald est l’une des rares personnes au monde à vivre de l’apnée.
- A seulement 25 ans, le Marseillais a déjà marqué sa discipline avec plusieurs records.
- En début de semaine, il a établi un nouveau record à 117 mètres, performance battue ce jeudi par un concurrent.
L’adage dit qu’il existerait trois sortes d’hommes : les vivants, les morts et ceux qui sont sur la mer. Que dire de ceux qui pratiquent l’apnée en grande profondeur tel Arnaud Jerald, apnéiste professionnel ? Le Marseillais de 25 ans a établi en début de semaine dans une compétition aux Bahamas un nouveau record du monde en descendant à 117 mètres en poids constant bi-palmes, c’est-à-dire sans autres assistances que ses palmes pour descendre et remonter. Un record qui n’a tenu que quatre jours, le Russe Alexey Molchanov, légende de la discipline et de 15 ans son aîné, a atteint les 118 mètres ce jeudi. Pour 20 Minutes, Arnaud Jerald raconte sa discipline, son exploit et ce que l’on ressent avec plus de 100 mètres d’eau au-dessus de sa tête et peu d’oxygène dans les poumons.
A quoi ressemble la vie d’un apnéiste professionnel ?
C’est une vie à la fois de chef d’entreprise et d’athlète. J’ai par exemple les mêmes préparateurs physiques que Florent Manaudou avec qui je m’entraîne au Cercle des nageurs. Par contre, à l’inverse d’autres athlètes, je manage mon entreprise, gère mes rendez-vous avec les sponsors et la partie média avec mes équipes d’attachés de presse quand je les actionne. Il y a tout un process au niveau de l’image et de l’entreprise, qui prend une part très très importante, et que j’adore.
Comment gagne-t-on sa vie ?
Cela fait trois ans que j’en vis. Nous devons être dix dans le monde a en vivre, avec des salaires complètement différents. Nous ne sommes pas rémunérés par la Fédération ou par des clubs mais j’en vis grâce à mes sponsors et aux conférences que je donne à de grandes entreprises, notamment sur le thème des process de sécurité.
C’est comment à moins 117 mètres de fond ?
Ici [aux Bahamas, où s’est déroulée la compétition], c’est nuit noire à partir de 60 mètres. Pour autant j’ai les yeux ouverts, le regard sur la ligne pour savoir si je coule droit. L’époque Grand Bleu, où l’on descend avec des plombs et remonte avec des ballons d’air, n’existe plus.
C’est quoi la différence entre 112 mètres (son précédent record du monde, en 2020) et 117 mètres ? C’est beaucoup cinq mètres ?
C’est dans la tête que ça se joue. Ça dépend de la marge physique, de la marge mentale, et de comment on voit les chiffres.
Il y a des paliers importants ?
Les chiffres ronds, les chiffres pairs, la barre des 100 mètres… Mais j’ai l’avantage de ne jamais m’être attaché à des chiffres, car ils peuvent être une limite.
Comment savez-vous que vous êtes arrivée « au fond » ?
J’ai une montre avec une alarme qui m’indique que j’arrive bientôt. Après, il y a une balle qui me stoppe avec la longe et je ne peux pas aller plus bas, même si j’en ai envie.
A quoi pensez-vous avant de plonger, en descendant, au fond et en remontant
L’idée c’est d’essayer de se détacher un maximum de la performance, d’avoir des bons souvenirs lors de la descente. Pour ça, j’essaye d’avoir une musique en tête que j’écoute plusieurs fois le matin. En ce moment c’est Within, des Daft Punk. Au fond on pense beaucoup plus vite qu’à la surface, parce que le corps se met en mode survie et doit pouvoir agir rapidement. Donc on pense à plein de choses en même temps, c’est assez agréable mais aussi perturbant parce qu’il faut garder de bonnes pensées et pas trop de mauvaises.
Cela vous est arrivé d’avoir des pensées en plonger du genre « mince j’ai oublié de ferme le velux et il va pleuvoir » ?
(Rires) Ça, non quand même pas. Par contre des fois j’ai des amis en tête et je me dis « Oh pétard, ça fait longtemps je ne l’ai pas appelé, faudrait que je l’appelle » et ça en boucle. Je ne sais pas pourquoi.
Avez-vous l’ivresse des profondeurs ? C’est comment ?
Je l’ai eu lorsque j’ai commencé l’apnée puis j’ai monté un protocole avec mes médecins pour les éviter et contrôler de A à Z ma plongée. C’est comme se lever très vite d’un canapé, on a la tête qui tourne, le regard qui commence à rétrécir, l’impression d’être dans un rêve avec plein de pensées qu’on ne contrôle pas et qui arrivent les unes après les autres. Mais des fois ça peut être un cauchemar et on a l’impression qu’on ne peut pas remonter.
Vous avez déjà fait une syncope ?
Non, et justement je suis content de ça, parce que ça montre une belle image du sport où l’on n’est pas obligé de passer par la syncope pour faire des records du monde.
Comment avez-vous commencé ?
J’ai découvert l’apnée par la chasse sous-marine. Dès l’âge de 7 ans, mon père m’emmenait chasser dans les calanques. A 16 ans, il m’a fait découvrir l’apnée pure et c’est à partir de là que je me suis dit je serais apnéiste. C’était aussi mes premières sensations, mon premier trente mètres : c’est très agréable d’être sous l’eau de se retrouver en tête avec soi-même. Une chose intéressante à découvrir à cet age-là. Ma timidité et les difficultés à l’école me concentraient sur le regard des autres et aller sous l’eau m’a permis de voir avec mes yeux et non avec le regard des autres.
Vous voulez viser les 120 mètres ?
Pas pour le moment en fait. J’ai d’abord envie de retourner sur ces profondeurs, les répéter pour voir comment je me sens et engranger de l’expérience. Parce qu’elles sont quand même nouvelles pour moi cette année. Si je vois que je suis vraiment à l’aise et que j’ai envie d’aller plus profond j’irais, sinon il va falloir s’entraîner un peu plus.