Coronavirus à Marseille : Le reconfinement fait craindre une flambée de la pauvreté dans les quartiers Nord
EPIDEMIE•Les acteurs de terrain s’attendent à devoir soutenir des familles toujours plus nombreuses à être fragilisées par la criseClara Martot
L'essentiel
- Lors du confinement du printemps, les associations et les collectifs implantés dans les quartiers avaient été débordés par les besoins des familles précaires.
- Dès l’annonce du reconfinement le 28 octobre, les structures implantées dans les quartiers défavorisés de Marseille ont dressé un état des lieux de leurs stocks. L’objectif est de pouvoir tenir dans la durée la distribution des denrées alimentaires.
- La mairie de Marseille a annoncé la mise en place de mesures d’urgence, passant en premier lieu par un renforcement des capacités du Samu social.
Pour les associations et collectifs sur le front à Marseille, l’annonce du reconfinement laisse craindre le pire. « En comparaison avec mars, la situation s’est dégradée car les ressources des familles fragiles ne sont pas remontées. Aujourd’hui, les gens sont bien plus à nus et bien plus vulnérables », s’inquiète Pierre-Olivier Dolino, directeur de la Fraternité de la Belle-de-Mai, quartier populaire du 3e arrondissement.
Au printemps dernier, ce pasteur avait coordonné un dispositif d’entraide avec les écoles du secteur visant à distribuer des produits de première nécessité. Des dizaines de familles jusqu’ici inconnues des structures s’étaient manifestées. De nouveau, Pierre-Olivier Dolino s’attend au même scénario et sait qu’il devra rapidement « déployer des aides alimentaires d’urgence ». Avec l’espoir de parvenir à mieux contenir la situation, par rapport au premier confinement « où des familles n’arrivaient pas à nourrir leurs enfants. Cette fois, ils continueront à aller à l’école et donc à manger à la cantine. On espère donc que ce sera moins violent. »
Tripler les stocks
Farida Benchaa, secrétaire départementale au Secours populaire en charge de la solidarité, a observé la crainte des bénéficiaires avant même que le reconfinement soit officialisé par Emmanuel Macron le 28 octobre. « On pressentait ce qui allait se passer. Lors de la dernière maraude devant la gare Saint-Charles avant l’annonce, la peur était flagrante. Il y avait une vingtaine de personnes de plus que d’habitude », raconte-t-elle. Dès le lendemain matin, le Secours populaire des Bouches-du-Rhône organise une réunion de crise.
L’objectif, cette fois-ci, est de conserver toutes les antennes marseillaises ouvertes, ce qui n’avait pas été possible durant la première vague. L’équipe de Farida Benchaa met alors en place une « veille sur les réserves alimentaires » car le nombre de colis à distribuer risque d’exploser dans les jours qui viennent. « En temps normal, nous distribuons 60.000 colis par mois. Notre objectif pour le reconfinement, c’est de pouvoir tripler ce chiffre », avance-t-elle sur la base des besoins observés durant la première vague. Avant de conclure amèrement : « au printemps, on a beaucoup appris. Mais malgré toutes les associations mobilisées à nos côtés, nous ne sommes pas assez nombreux pour absorber la demande. »
« L’incertitude du lendemain »
Lors de la première vague, les collectifs de quartiers étaient donc directement interpellés par les habitants hors des radars institutionnels. C’est le cas du collectif Maison Blanche dans le 14e arrondissement, qui vient de rouvrir sa cagnotte afin de renflouer les stocks. « On avait même des familles qui venaient de l’Estaque jusque chez nous, sur conseil de leur assistante sociale ! », assure le co-fondateur du collectif Naïr Abdallah dans une vidéo partagée le 29 octobre sur Facebook. Joint par téléphone, il explique « recevoir de nouveau des messages de personnes en situation irrégulière, de travailleurs au black. Les gens ont peur, le reconfinement est tombé en pleine fin du mois. »
Toujours dans le 14e arrondissement à moins de deux kilomètres de Maison Blanche, les bénévoles du McDonald’s de Saint-Barthélémy se préparent à « une vague de précarité encore plus puissante », présage Salim Grabsi du Syndicat des quartiers populaires de Marseille (SQPM). En pleine liquidation judiciaire, l’ancienne enseigne s’est transformée en plateforme solidaire et reçoit des denrées de particuliers et associations. « Aujourd’hui, on a une liste de 14.000 personnes et on reçoit une cinquantaine de nouveaux inscrits tous les jours, s’alarme le militant. Lors de la première vague, l’ancienne majorité municipale ne nous avait été d’aucun soutien. Nous ne recevons pas non plus d’aide de la Banque alimentaire. Si rien ne change, on va manquer de moyens. »
Des nouveaux publics
La Banque alimentaire des Bouches-du-Rhône, qui fournit des denrées à près de 180 structures partenaires, explique déjà tenir une cadence de 60 tonnes de nourriture par semaine. « Au printemps, on est monté à 90 tonnes. On s’attend à devoir faire pareil cet hiver », avance la secrétaire départementale Monique Dumont.
Du côté de la ville, les services ont annoncé ce vendredi mobiliser « une partie du budget habituellement allouée à l’accueil et à l’organisation d’évènements annulés » au profit de mesures sociales d’urgence. « Dans les jours qui viennent, le Samu Social passera de 500 repas quotidiens à 1.000, détaille Audrey Garino, adjointe aux affaires sociales. Les besoins augmentent, chez les sans-abri mais aussi chez des publics très différents. »
Car par sa durée, la crise sociale risque de toucher des foyers jusqu’ici épargnés. Salim Gabsi analyse alors : « le déconfinement avait permis aux gens de retrouver un semblant de débrouille. Le reconfinement les replonge dans l’incertitude du lendemain. C’est la pire des choses. »